Le roman policier a connu une transformation notable au cours des dernières décennies, passant de littérature populaire, souvent perçue comme « illégitime » par les élites littéraires, à un genre largement reconnu et étudié. À partir des années 1970, le polar a été revalorisé et est désormais chroniqué dans des médias généralistes, loin des seules revues spécialisées.
PRODUCTION ET CONSOMMATION : Les principaux reproches faits au genre
Traditionnellement, le roman policier a été critiqué pour sa structure souvent prévisible et ses formules stéréotypées. Les critiques ont mis en lumière les techniques éditoriales associées à une consommation de masse : éditions bon marché, couvertures aguicheuses, production prolifique, gros tirages et pratiques comme les tronçonnages pour adapter les romans aux formats des collections populaires. Les traductions ont parfois été jugées approximatives, et les stratégies de marketing et de publicité destinées à cibler des segments spécifiques de lecteurs ont souvent été dénoncées.
Cependant, ces critiques n’ont pas empêché un renouvellement constant du genre, alimenté par des échanges avec d’autres médias comme le cinéma, la télévision et la bande dessinée. Les auteurs eux-mêmes ont défendu le roman policier. En 1910, Chesterton évoquait déjà la défense du genre, et plus tard, Claude Aveline, dans la préface de La Double Mort de Frédéric Belot, réaffirmait que « ce ne sont pas les genres qui sont mauvais, mais les écrivains qui manquent de talent ». En conséquence, dès les années 1970, le roman policier est devenu un objet d’études littéraires à part entière. Des auteurs comme Chandler et Simenon ont été reconnus comme des grands stylistes, et leurs œuvres sont souvent considérées comme des classiques.
DÉCLOISSEMENT DU GENRE
Dans les années 1980-1990, il y a eu un décloisonnement évident entre le roman policier et la littérature dite « légitime ». Plusieurs auteurs de polars, tels que Demouzon, Vautrin, Pennac et Magnan, ont fait leur entrée dans la prestigieuse collection « Blanche » de Gallimard, alors qu’auparavant ces auteurs étaient relégués aux collections populaires. De plus, certains romans policiers sont désormais réédités dans des collections comme Folio, aux côtés d’autres genres littéraires. Cela montre une porosité croissante entre les genres, avec une ouverture du roman policier à d’autres formes de littérature.
Des écrivains de littérature générale, quant à eux, empruntent parfois les structures narratives et les codes du polar. Des figures comme Borges, Faulkner, Vian, Steinbeck, Eco, Durrenmatt, Auster, Modiano, et bien d’autres, ont intégré des éléments du genre policier dans leurs œuvres, créant une hybridation fertile.
Certains éditeurs ont d’ailleurs adopté une approche plus éclectique, publiant à la fois des romans policiers, des romans de science-fiction et des ouvrages littéraires classiques sans mentionner explicitement la collection. C’est le cas de la maison d’édition Au Diable Vauvert, qui brouille les frontières entre genres, ou de La Noire (Gallimard), qui publie des polars tout en s’intéressant également à la littérature « noire », où l’aspect policier n’est pas forcément central.
Cependant, certains détracteurs craignent que cette ouverture vers des codes stylistiques étrangers au genre nuise à l’identité du polar. Selon eux, le genre perdrait ses caractéristiques essentielles : une lecture accessible à tous et une actualité vivante du monde.
PUBLIC : De populaire à plus intellectuel
Jusqu’aux années 1960, le polar était largement considéré comme une littérature populaire, accessible à un public large. Cependant, à partir des années 1970, son lectorat a évolué, attirant davantage de lecteurs intellectuels et contestataires, notamment issus de la contre-culture. Une étude menée en 2004 par la Bibliothèque publique d’information (BPI) révèle que le lecteur type de polar est désormais un lecteur assidu, souvent diplômé et lisant en moyenne quinze polars par an. De plus, les femmes sont désormais aussi nombreuses, voire plus nombreuses que les hommes, à lire des romans policiers.
Malgré cette évolution, le polar reste populaire, comme en témoigne le succès mondial d’auteurs comme Dan Brown et Mary Higgins Clark, qui continuent de toucher un large public. Cela prouve que le genre n’a pas perdu sa capacité à captiver des lecteurs de toutes origines et catégories sociales.
En conclusion
Le roman policier a su évoluer pour devenir un genre littéraire respecté, reconnu pour sa capacité à explorer des enjeux sociaux, moraux et psychologiques profonds tout en offrant un divertissement de qualité. Sa revalorisation depuis les années 1970, son ouverture vers la « Grande Littérature » et son interaction avec d’autres formes d’art montrent que le polar n’est plus seulement une littérature populaire, mais un genre à part entière, avec ses propres codes, mais aussi une grande capacité d’adaptation et d’évolution.