Qu’est-ce que le Whodunit dans le roman policier ?
1 – Whodunit : origines
Le whodunit ou whodunnit, expression tirée de l’anglais « Who (has) done it? » => Qui l’a fait ?, est devenu l’appellation « officielle » du roman d’énigme classique du début du XX ème siècle, également appelé « roman-problème » ou « roman-jeu », forme particulière du roman policier dans laquelle la structure de l’énigme et sa résolution sont les facteurs prédominants.
Egalement surnommé « detective story », dans le sens où il s’agit d’un divertissement purement cérébral: une énigme réduite à un simple puzzle que le lecteur doit résoudre avec les indices disséminés dans le récit à son intention par l’auteur. Il obéit à un ensemble de règles fixes et stéréotypées.
2 – Whodunit : caractéristiques
- Le récit se soucie peu de refléter la réalité, même si des enquêteurs tels que Sherlock Holmes, Arsène Lupin ou Rouletabille utilisent des méthodes policières en vigueur à leur époque; en effet, la peinture sociale, par ailleurs souvent cruelle, est masquée par l’enquête.
- Le réel n’apparaît qu’à travers des indices textuels: journal du confident-narrateur; articles de presse relatant un fait divers; lettres secrètes; manuscrits retrouvés.
- L’espace y est restreint voire clos.
- Le récit comporte toujours un soupçon de mystère et un brin de suspense.
- L’enquête est menée par un détective hors pair; en général, il n’est aucunement menacé.
- Le surnaturel en est généralement exclu.
- Peu de profondeur psychologique des personnages et de complexité dans la peinture sociale car le but du whodunit est de proposer au lecteur des puzzles intellectuels, reconstituant pièce par pièce les imbroglios et stratagèmes ourdis par le coupable. L’enquête consiste dans la collecte d’indices matériels, de témoignages.
- L’auteur s’amuse avec son lecteur en lui donnant, tout au long du récit, les mêmes indices qu’à son personnage afin qu’il ait une chance de résoudre l’enquête avant que la solution ne soit révélée dans les dernières pages. C’est une sorte de défi lancé par un auteur à son lecteur…
Procédure :
Le détective recherche le coupable parmi un groupe de suspects présentés par l’auteur. D’un interrogatoire à l’autre, le lecteur suit le détective dans sa quête de la vérité. Le dévoilement de l’affaire est souvent représenté dans une scène finale où il expose le cheminement de son raisonnement.
3 – Les auteurs fondateurs
Le whodunit s’est épanoui en Angleterre dans les années 1920-1930. Parmi les meilleurs romanciers britanniques s’étant illustré dans cet exercice, nous pouvons citer : Dorothy L. Sayers; Margery Allingham; Joséphine Tey; G.K. Chesterton; et, bien sûr, Agatha Christie, la reine incontestable et incontestée du whodunit.
=>Tous ont un mobile et les interrogatoires menés par le détective doivent fragiliser leur défense afin d’accumuler les indices qui permettront de parvenir à la solution.
4 – Le whodunit s’exporte
- Williard Huntington Wright, le très réputé critique d’art, alors qu’il est atteint de tuberculose, s’adonne à la lecture de romans policiers dans le but avoué de rédiger une histoire du roman criminel. Finalement, c’est sous le pseudonyme S.S. Van Dine qu’il crée son détective, l’aristocrate Philo Vance, le plus cultivé, le plus emprunté et aussi le plus rasoir des détectives romanesques. Ses exploits sont racontés par un narrateur jouant le rôle que le docteur Watson joue auprès de Sherlock Holmes. Utilisant un pseudo dans le but de ne pas assombrir sa carrière de critique, S.S. Van Dine édicte les » vingt règles du roman policier », dans une tentative de systématiser le genre à l’extrême.
- Né à Warren, dans l’Ohio, en 1884, Earl Derr Biggers fait ses études à Harvard avant de devenir journaliste au Boston Traveler. Il y assure une chronique théâtrale en alternance avec une chronique humoristique. Il écrit son premier roman en 1913 mais ce n’est que douze ans plus tard qu’il connaîtra le succès avec son personnage enquêteur qui prend les traits d’un sympathique policier chinois appelé Charlie Chan. Avec lui naît un roman policier humoristique de qualité. Sa première apparition a lieu en 1925 dans La Maison sans clefs. Le mythe sera propagé par 49 films de 1926 à 1949 et une bande dessinée de 1938 à 1942.
- C’est en 1934, alors qu’il est âgé de 48 ans, que Rex Stout, de retour d’un voyage en Europe, va créer l’un des détectives les plus célèbres, le fameux Nero Wolfe, poussant à l’extrême le jeu intellectuel. Sa passion pour les orchidées, qu’il partage avec son jardinier Théodore Horstmann, est tout aussi légendaire que son obésité qui lui interdit tout effort physique. Il vit dans la 35e West Street à New-York avec son excellent cuisinier suisse, Fritz Brenner, et son fidèle » associé » Archie Goodwin. L’oeuvre de Stout a été couronnée en 1959 par un grand Master Award.
- Earle Stanley Gardner : créateur du célèbre avocat Perry Mason, Gardner a lui-même exercé cette profession tout en dirigeant la revue Black Mask (consacrée essentiellement au roman policier) dans laquelle il publiera une bonne centaine de nouvelles de 1923 à 1933 sous de multiples pseudonymes. En 1933, dans La Corde Raide, Perry Mason commence sa brillante carrière de défenseur des causes perdues, ses clients étant des innocents victimes d’une machination. Secondé par sa très dévouée secrétaire Della Street, et le privé Paul Drake, il dénoue avec brio les fils d’une intrigue qui a fait injustement accuser ses clients.
- Ellery Queen : en 1928, deux cousins de Brooklyn, d’ascendance polonaise, Manford Lepofsky, surnommé Manford B. Lee, et Daniel Natan, surnommé Frédéric Dannay, tous les deux nés en 1905, décident de participer à un concours littéraire organisé par le McCure’s Magazine et doté d’un prix de 7500 dollars. Sous le pseudonyme commun de Ellery Queen, ils écrivent un roman intitulé Le Mystère du Chapeau de Soie et décrochent le prix, qui va décider de leur avenir. Leur pseudonyme est également le nom du » double » personnage principal: d’une part, Richard Queen, inspecteur de la police métropolitaine de New-York, cheveux grisonnants, petite taille, colérique, veuf depuis 6 ans quand démarre la première enquête; et son fils Ellery, grand, élancé, cheveux noirs, front intelligent et mains d’athlète, célibataire endurci, auteur de romans à succès. Le premier récolte les indices, le second les met en forme. L’apport des deux cousins est considérable: les premiers récits développent à l’extrême l’idée de roman-jeu puisque, à la fin de chacun des neuf premiers, les auteurs remettent au lecteur les clefs de l’énigme. Pourtant, les romans suivants vont quelque peu s’écarter des canons verrouillés du whodunit pour s’orienter vers le récit psychologique et social ( La Décade prodigieuse, 1948 et Griffes de velours 1949).
En France, il faut attendre Albert Pigasse, avec la création de la collection Le Masque (1927, publiant essentiellement des romans anglais) et sa création du Prix du roman d’aventure en 1930, qui révèle la plupart des auteurs importants d’avant guerre. Le roman français ne cherche que le divertissement et l’atmosphère.
5 – L’humour dans les whodunit
Les whodunit, quel que soit leur contenu, leur auteur où l’époque à laquelle ils ont été écrits, sont souvent empreints d’une certaine dose d’humour: sa fonction est essentiellement d’évacuer une part du sordide de la situation : le lecteur doit frissonner, certes, mais plaisamment, devant une mort violente exécutée souvent avec cruauté au lieu de s’en désoler ou d’en être bouleversé. L’élément humoristique peut revêtir différentes formes. Pour certains, il peut s’agir d’un personnage un peu naïf, tel l’associé de Poirot, le capitaine Hastings, qui sans le vouloir amène son génial ami à toucher du doigt l’élément manquant pour résoudre l’énigme.
Le récit se veut surtout ludique, car, en arrière-plan, il suggère au lecteur qu’il n’est là que pour se distraire, ce qui permet de rendre certains sujets délicats plus « digestes ». Ainsi, dans la première moitié du xxe siècle, certaines romancières, comme Agatha Christie et Dorothy Sayers, adoptent une vision du statut de la femme qui se rapproche sensiblement des thèses féministes alors en vogue, en les insérant avec humour . Grâce à ce ton léger, le monde de la fiction policière se détache du monde réel qui l’entoure sans en être totalement déconnecté. Enfin, certains whodunits mettent en œuvre des parodies d’œuvres classiques du genre, telle la suite de meurtres des suspects dans un lieu isolé qui est à la base de l’intrigue de Dix petits Nègres d’Agatha Christie, dont l’intrigue se base sur les paroles d’une comptine.
6 – Le Detection Club
Fondé en 1928 à l’instigation de Anthony Berkeley Cox, écrivain britannique de romans policiers , le Detection Club attire dès sa fondation les auteurs reconnus de « l’âge d’or » du roman d’énigme, tels que Agatha Christie, Dorothy L. Sayers, G.K. Chesterton, Freeman Wills Crofts, John Rhode, dans le but de reconnaître avec un humour tout britannique leur soumission aux règles du whodunit.
Chaque nouveau membre est admis après une cérémonie protocolaire ludique lors de laquelle il doit prêter serment. Le chef de la cérémonie pose plusieurs questions au candidat qui y doit répondre par la positive :
« Promettez-vous que votre détective résoudra les crimes qui lui sont présentées, en utilisant l’esprit que vous avez bien voulu lui accorder, et de ne pas utiliser la révélation divine, l’intuition féminine, la tricherie, la coïncidence ou tout acte de Dieu ? Jurez-vous de ne jamais cacher au lecteur un indice essentiel à l’enquête ? Promettez-vous de n’utiliser qu’avec modération les gangs, les conspirations, les rayons de la mort, les fantômes, l’hypnotisme, les passages secrets, les chinois, les super-criminels et les lunatiques, et de renoncer à tout jamais aux mystérieux poisons inconnus de la Science ? Honorerez-vous le Roi des anglais ? »
Le chef de la cérémonie demande alors au candidat de préciser à quel objet il tient le plus au monde (X), puis lui pose la question :
« Jurez-vous sur (l’objet en question) de tenir fidèlement les promesses que vous avez faites aussi longtemps que vous serez Membre du Club ? »
Et le candidat doit répondre :
« Tout cela je le jure. Et je promets, en outre, d’être loyal au Club, de ne jamais voler ou dévoiler une intrigue ou tout autre secret qui m’a été communiqué avant sa publication par un autre Membre, que ce soit sous l’effet de l’alcool ou autre. »
Le chef de la cérémonie demande à l’audience
« Si un Membre est contre l’intégration qu’il se déclare… Acclamez-vous donc (Candidat) en tant que Membre de notre Club ? »
L’assemblée crie pour exprimer son approbation et lorsque le silence est revenu, le chef de la cérémonie dit ces derniers mots :
« (Candidat) vous êtes dûment élu Membre du Detection Club, et si vous échouez à tenir vos promesses, que les autres écrivains anticipent vos intrigues, que vos éditeurs revoient votre contrat à la baisse, que les anonymes vous poursuivent pour diffamation, que les pages de vos livres soient remplies de coquilles et que vos ventes diminuent inexorablement. Amen. »
Les auteurs admis se retrouvent à intervalles réguliers pour des dîners et pour discuter d’aspects techniques de l’écriture du récit policier. Ils se font un point d’honneur de respecter un code de déontologie dans leurs œuvres, afin de donner aux lecteurs une juste chance de découvrir l’assassin : ce code en dix points, établi par Ronald Knox , est connu sous le nom de Décalogue de Knox. Plusieurs membres, dans le cadre du club, ont collaboré à l’écriture de récits policiers ensuite publiés sous leur signature commune, notamment L’Amiral flottant sur la rivière Whyn.
En 1936, John Dickson Carr, écrivain américain de romans policiers né en Virginie, est le premier écrivain non-britannique à être invité à rejoindre les rangs du Detection Club.
Le Detection Club existe toujours. Il est présidé par le britannique Martin Edwards depuis novembre 2015.
7 – Le whodunit moderne
Depuis les années 1950, le roman-énigme n’a pas perdu de sa vigueur et bénéficie de nombreux amateurs, même parmi les jeunes générations. Parmi ses auteurs modernes, nous pouvons citer principalement :
- Phyllis Dorothy James (P.D. James) qui, avant de se consacrer à l’écriture, a travaillé à la section criminelle du Home Office anglais. Elle est la créatrice de la jeune détective légèrement « décalée » Cordelia Gray et de l’inspecteur poète Adam Dalgliesh, deux personnages attachants et tout à fait crédibles. Son style est soigné et l’étude des microcosmes de la société sonne juste.
- Ruth Rendell : en 1990, quand les animateurs du Masque ont dû déterminer l’auteur qui symbolisait le mieux le cheminement de cette collection depuis sa création en 1927, c’est sur Ruth Rendell que leur choix se porta. Choix largement justifié, sans pour le moins dévaluer ses collègues écrivains: depuis trente années, Ruth Rendell incarne le roman policier d’énigme et de suspense dans la pure tradition britannique, par ses intrigues aux études psychologiques très fouillées, ses fines études de caractère. Elle a d’ailleurs reçu de nombreux prix. Son personnage enquêteur est l’inspecteur-chef Reg Wexford, marié et père de deux filles, accompagné de son adjoint Mike Burden, svelte et intolérant. L’autre versant de son oeuvre très prolifique est ponctué de suspenses très intenses et parfaitement réussis, dont les très fameux Fantasmes (1966) et L’Enveloppe Mauve ( 1976).
- Bien qu’elle soit américaine, Elizabeth George est mondialement célèbre pour ses romans policiers dans la pure tradition du whodunit. Elle fait ses débuts avec le roman A Great Deliverance (1988) publié en France en 1990 sous le titre Enquête dans le brouillard. Depuis, les 19 enquêtes de l’inspecteur Lynley, bel aristocrate, et de son adjointe la disgracieuse Barbara Havers ont fait le tour du monde et se sont vendues à plus de 7 millions d’exemplaires aux USA. L’étude psychologique, les descriptions d’ambiance urbaine et la tension dramatique sont ses marques de fabrique. Dans Mes secrets d’écrivain, publié en 2006, elle recommande aux écrivains en herbe de bien connaître la façon de construire un roman. Dans cet ouvrage, elle livre ses astuces d’écriture et quelques recettes pour créer des personnages. « On me demande souvent pourquoi mes romans se déroulent en Angleterre. La réponse se trouve dans ma philosophie : écris sur ce qui t’intéresse, écris sur ce que tu aimes, écris sur ce qui te donne de la joie. Écrire est une agréable torture, il semble fou de s’y engager si on n’est pas dirigé par quelque chose qu’on aime. »
- L’islandais Ragnar Jonasson est passionné par Agatha Christie depuis longtemps, il a décidé dès l’âge de 17 ans de traduire ses romans policiers de l’anglais vers l’islandais. Cet amour pour le Whodunit va se ressentir dans ses propres textes et faire de lui un auteur de romans policiers scandinaves à part car c’est ses oeuvres sont la fusion du roman policier nordique traditionnel (fond social comme les fondateurs Sjöwall et Wahlöö) et du Whodunit. L’effet de huis-clos est doublement présent : ses oeuvres avec son héros Ari Thor se déroule sur une île l’Islande et dans une petite ville nommée Siglufjördur située dans le nord qui se retrouve coupée du monde lorsqu’il y a beaucoup de neige (c’est le cas dans le tome 1 Snjör publié aux Ed. La Martinière et Points Seuil, il n’y alors qu’un tunnel pour accéder à la ville et celui-ci est obstrué par la neige). Il est devenu en quelques années un des auteurs de romans policiers nordiques les plus lus.
- Le grec Christos Markogiannakis dans ses romans « Au cinquième étage de la faculté de droit » et « Mourir sur scène » (Ed. Albin Michel) propose du Whodunit moderne dans la Grèce d’aujourd’hui. Sur un fond social jamais pesant, il dépeint les enquêtes du capitaine de police Christophoros Markou. Ce dernier formé en criminologie explique toujours son raisonnement à la fin comme dans les romans traditionnels. Une véritable alchimie entre une culture moderne et classique qui se retrouve dans tous les aspects du travail de cet auteur (qui propose également ses « criminiarts » : scènes de crimes dans l’art décryptées par des outils de criminologues « Scènes de crime à Orsay« , « Scènes de crime au Louvre » – Editions Le Passage).
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