Henry JAMES : Le tour d’écrou

« Dans Le tour d’écrou, Henry James joue avec son lecteur en instaurant une tension dramatique ascendante au sein d’une réalité banale. »

Henry JAMES : Le tour d’écrou
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Présentation Éditeur

Le huis clos d’une vieille demeure dans la campagne anglaise. Les lumières et les ombres d’un été basculant vers l’automne. Dans le parc, quatre silhouettes – l’intendante de la maison, deux enfants nimbés de toute la grâce de l’innocence, l’institutrice à qui les a confiés un tuteur désinvolte et lointain.

Quatre… ou six ? Que sont Quint et Miss Jessel ? Les fantômes de serviteurs dépravés qui veulent attirer dans leurs rets les chérubins envoûtés ? Ou les fantasmes d’une jeune fille aux rêveries nourries de romanesque désuet ?

De la littérature, Borgès disait que c’est « un jardin aux sentiers qui bifurquent ». Le Tour d’écrou n’en a pas fini d’égarer ses lecteurs.

Origine Flag-ETATS-UNIS
Éditions Stock
Date Mars 1995
Éditions Librio
Date Novembre 1998
Éditions Le Livre de Poche
Date 26 février 2014
Traduction Monique NEMER
Pages 216
ISBN 9782253089292
Prix 6,20 €

L'avis de Cathie L.

Henry James, né le 15 avril 1843 à New-York et mort le 28 février 1916 à Chelsea, quartier de l’ouest de Londres sur la Tamise, est un écrivain américain naturalisé anglais quelques mois avant sa mort, considéré comme une figure majeure du réalisme littéraire du 19 ème siècle. Il est incontestablement le maître de la nouvelle et du roman psychologique.

La postérité se souvient de Henry James pour sa série de romans dans lesquels il décrit longuement la rencontre de la jeune Amérique avec la vieille Europe, notamment la Grande-Bretagne, pays qu’il affectionnait particulièrement. Ses intrigues dépeignent les relations personnelles et l’exercice du pouvoir qu’elles impliquent. Chaque histoire est construite autour d’un personnage principal dont elle adopte le point de vue, personnage qui explore les phénomènes de conscience et de perception.

A travers sa quête littéraire, Henry James a tenté de convaincre ses compatriotes ainsi que les romanciers britanniques de mettre en scène leur vision du monde avec autant de liberté que les écrivains français. Grâce à son usage imaginatif du point de vue narratif, du monologue intérieur ainsi que du personnage mensonger, il renouvelle la fiction réaliste à laquelle il donne une nouvelle profondeur. En cela, il préfigure les œuvres modernes qui jalonneront le 20 ème siècle.

Auteur très prolifique, il écrivit de nombreux articles de journaux, des carnets de voyage, ainsi que des biographies, une autobiographie et des critiques littéraires, mais également quelques pièces de théâtre dont certaines furent montées de son vivant avec un relatif succès. Il est le frère de William James, psychologue et philosophe américain, disciple du philosophe suédois Emanuel Swedenborg, fondateur du pragmatisme et de la philosophie analytique.

Le roman

Le Tour d’Écrou, The turn of Screw en version originale, nouvelle fantastique appartenant au sous-genre des « histoires de fantômes », parut pour la première fois en 1898. Considérée comme un remarquable exemple du genre, elle constitue néanmoins une exception dans la bibliographie de son auteur plutôt connu comme un des maîtres du réalisme américain. Son format hybride de 180 pages en fait soit une longue nouvelle, soit un roman court. Lors de sa parution, Le Tour d’écrou fut largement saluée autant par les critiques que par des auteurs tels qu’Oscar Wilde ou, quelques années plus tard, Jorge Luis Borges. Aujourd’hui encore, elle continue d’alimenter les analyses et réflexions des commentateurs du genre.

Le style : la langue de Henry James est propre au style des 19e 20e siècles, avec ses phrases longues et complexes, son vocabulaire choisi, ses tournures recherchées, parfois un peu guindée; en voici un exemple : « Bien que l’histoire nous eût tenus haletants autour du feu, en dehors de la remarque -trop évidente- qu’elle était sinistre, ainsi que le doit être essentiellement toute étrange histoire racontée la nuit de Noël dans une vieille maison, je ne me rappelle aucun commentaire jusqu’à ce que quelqu’un hasardât que c’était, à sa connaissance, le seul cas où pareille épreuve eût été subie par un enfant. » (Page 11). Ce qui n’enlève rien à la tension dramatique et à l’impact du surnaturel mis en scène dans le roman.

La construction : trois niveaux de narration interviennent dans ce récit écrit à la première personne : en premier lieu, l’institutrice des enfants qui, de nombreuses années après les événements, les nota dans un journal qu’elle transmit à Douglas peu avant de mourir; ensuite, le second narrateur, Douglas donc, qui en fit la lecture un soir au coin du feu devant un cercle choisi d’amis, récit qui fut en dernier lieu retranscrit par un des auditeurs avec pour résultat le livre que nous avons en main. Tous ces intermédiaires créent une distance temporelle propre à instaurer un climat de fausse confiance: on se dit que les événements étranges survenus dans cette histoire s’étant déroulé quarante années plus tôt, on ne craint rien; c’était une autre époque, en proie à des superstitions qui n’ont plus court… Erreur !!

Pourtant, dès le début de la nouvelle, l’auteur installe un climat d’angoisse qui met le lecteur en condition de réceptivité accrue, par les paroles mêmes du narrateur qui prévient son auditoire :

« Il n’y a jusqu’ici que moi qui l’aie jamais su. C’est par trop horrible. »… »C’est au-delà de tout. Je ne sais rien au monde qui en approche. »… »Comme un ensemble de hideur, de douleur et d’horreur infernales. » (Pages 12-13).

Le titre : une histoire de fantôme est d’autant plus impressionnante quand elle survient à un enfant, d’où un tour de vis à l’émotion des auditeurs. Illustrant parfaitement le concept que les choses et les êtres ne sont pas ce qu’ils paraissent, qu’il y existe immanquablement l’envers du décor :

« Leur beauté plus qu’humaine, leur sagesse absolument anormale…Tout cela n’est que jeu, continuai-je, c’est une manière d’être, une affectation et une fraude ! » (Page 107).

L’intrigue

Nuit de Noël. Une vieille maison. Le coin du feu. Le narrateur assiste à la lecture par son ami Douglas du journal qu’une gouvernante a rédigé il y a bien longtemps, dans lequel elle raconte une mésaventure qui lui est arrivée alors que, toute jeune femme, elle avait été engagée comme institutrice par un riche célibataire, tuteur de ses deux neveux, Miles et Flora. Les deux enfants vivaient dans sa propriété campagnarde tandis que lui s’occupaient de ses affaires dans sa résidence londonienne.

Peu à peu, la jeune femme installe une routine de travail et de loisirs avec ses deux jeunes protégés qui se révèlent très dociles et très agréables à vivre. Mais bientôt, elle remarque leur comportement devenir de plus en plus étrange, alors qu’elle-même se trouve confrontée à d’effrayantes apparitions, notamment celle d’un certain Peter Quint, l’ancien régisseur du domaine, qui entretenait une liaison scandaleuse avec la précédente gouvernante, miss Jessel, apparaissant également à intervalles réguliers. Mais le hic est que tous les deux sont décédés peu de temps avant son arrivée.

La jeune institutrice, désemparée et très troublée, se confie à madame Grose qui semble toute prête à la croire, bien qu’elle-même ne puisse pas voir les apparitions suspectes. L’ambiance sereine du début de l’histoire se dégrade progressivement car les deux enfants subissent l’attirance maléfique des deux spectres. dès lors, la jeune institutrice va tout mettre en oeuvre pour les en détourner.

Les personnages

Deux groupes de personnages se distinguent: les auditeurs réunis autour du feu afin d’écouter le récit lu par Douglas.

  • Douglas : ami du narrateur ; possesseur et lecteur du manuscrit de l’institutrice.
  • Mrs Griffin : une des auditrices.
  • M. Griffin : son mari ; le premier à raconter une histoire.
  • Narrateur : ami de Douglas ; on ne sait absolument rien de lui.

Les protagonistes mêmes de l’histoire racontée par Douglas :

  • L’institutrice des enfants : on ne sait pas son nom ; plus jeune fille d’un pasteur de campagne ; âgé de 20 ans au moment des faits ; personne délicieuse, intelligente, agréable ; ancienne institutrice de la sœur de Douglas.
  • Oncle des deux enfants : célibataire, parfait gentleman, à la fleur de l’âge ; beau, hardi et séduisant, plein d’entrain et de bonté ; manières de galant homme ; visiblement très riche ; désireux de préserver sa tranquillité, raison pour laquelle il engage une institutrice pour s’occupe de ses neveux.
  • Madame Grose : ancienne femme de chambre de la mère du propriétaire, femme de charge du domaine ; sans enfants ; femme simple, nette et saine.
  • Miles : âgé de dix ans ; incroyablement beau, d’une éclatante fraîcheur, d’une grâce innocente, comme s’il ignorait tout de ce monde hormis l’amour ; très doué pour les études ; d’un caractère très doux.
  • Flora : âgée de huit ans ; de la même beauté angélique que son frère ; yeux bleus, cheveux d’or ; enfant exquise aux manières impeccables ; aussi douce de caractère que son frère.
  • Peter Quint : cheveux roux, frisés serrés, visage pâle de forme allongée, traits réguliers et droits, petits favoris roux comme les cheveux, sourcils un peu plus foncés ; petits yeux pénétrants et étranges ; grande bouche aux lèvres minces ; de grande taille ; remarquablement beau ; intelligent mais impudent et dépravé.
  • Miss Jessel : très belle femme ; visage pâle ; comportement dépravé.

La psychologie du personnage de l’institutrice est remarquablement étudiée dans cette nouvelle. Ayant elle-même raconté dans son journal les différentes étapes de l’histoire, elle décrit la moindre de ses pensées, tous ses doutes et ses peurs :

« Il me fallait quotidiennement, à certaines heures – du moins à certains moments, et cela au détriment de mes devoirs les plus élémentaires, -il me fallait aller m’enfermer dans ma chambre, pour y réfléchir. Ce n’tait pas que mon état nerveux excédât ma force de résistance: mais j’éprouvais une crainte extrême d’en arriver là… » (Page 46).

Plus loin :

« J’étais prête au pire. Ce qui m’avait alors transpercée comme d’un poignard, était la pensée que mes yeux pussent être scellés tandis que les leurs eussent été grands ouverts. » (Page 114).

Les lieux

Les lieux, dans un récit fantastique, constituent bien plus qu’un décor dans lequel évoluent les personnages. Ils impriment aux personnages et aux choses qui les environnent le sceau de l’angoisse qui les habite, soit par contraste, comme la chambre de l’institutrice qui, malgré son décor somptueux, semble tout à fait inoffensive :

« imposante, -l’une des plus belles de la maison- son grand lit, qui me paraissait un lit de parade, les lourdes tentures à ramages, les hautes glaces dans lesquelles, pour la première fois, je me voyais de la tête aux pieds, tout me frappait (…) comme étant un ordre de choses naturel ici. » (Pages 24-25).

Soit dans une concordance parfaite avec les événements étranges qui s’y déroulent, comme la grande maison aux nombreuses pièces, aux cachettes non moins nombreuses, ses chambres vides, ses corridors sombres, jusqu’à la tour à mâchicoulis qui donne le vertige. Chaque détail est soigneusement agencé par Henry James afin de créer une atmosphère subtilement délétère, installant chez le lecteur un malaise qui ne peut aller que grandissant, tout comme les deux tours qui flanquent les deux ailes de la maison :

« deux constructions carrées, à créneaux, sans aucun rapport avec le reste de l’architecture (…) elles nous frappaient tous, surtout quand elles surgissaient dans l’ombre, par la proportion démesurée de leurs créneaux. » (Page 42).

L’ambiance

Au début du récit, si l’on fait abstraction du prologue, tout semble d’une normalité bien ordinaire, malgré la première impression de la jeune femme au soir de son arrivée, impression sur laquelle le lecteur ne s’attarde pas, la mettant sur le compte de la fatigue du voyage et du dépaysement total. Pourtant, un malaise diffus s’installe, comme un avertissement que cette façade n’est qu’un faux décor :

« Un soir, -rien ne vint m’avertir, rien ne me conduisit là,- un soir, de nouveau, je sentis passer sur moi ce frisson glacé du premier soir de mon arrivée. La sensation, la première fois, avait été beaucoup plus légère… » (Page 89)

Puis le doute s’installe :

« A ce moment, et dans mon état nerveux, j’étais convaincue qu’elle mentait et je fermai les yeux de nouveau, dans mon trouble d’avoir à choisir entre les trois ou quatre réponses qui me venaient à l’esprit. » (Page 94).

Mon avis

Virtuose de l’analyse psychologique et de l’introspection, Henry James joue avec son lecteur qu’il fait osciller entre une interprétation rationnelle et une interprétation surnaturelle des faits relatés en instaurant une tension dramatique ascendante au sein d’une réalité banale.

Bien que cette nouvelle ait été écrite il y a plus d’un siècle, la façon dont son auteur installe un climat d’angoisse, la mise en scène soignée dans laquelle il fait évoluer ses personnages, la psychologie très fouillée de l’institutrice en font un récit de fantômes particulièrement moderne. Elle a d’ailleurs fait l’objet de nombreuses traductions et adaptations, notamment cinématographiques parmi lesquelles nous citerons « Les innocents », film de Jack Clayton avec Déborah Kerr dans le rôle principal, sorti en 1961; également le film de Rusty Lemorande sorti en 1994 intitulé  » Le tour d’écrou » ; et bien sûr la remarquable adaptation de Alejandro Amenabar sortie en 2001, « Les autres », avec une convaincante Nicole Kidmann dans le rôle de l’institutrice.

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Ecrivain de romans historiques, chroniqueuse et blogueuse, passionnée de culture nordique et de littérature policière, thrillers, horreur, etc...

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2 Commentaires

  1. grand classique de la littérature fantastique que le tour d’écrou. Je l’avais lu et étudié au lycée et je l’ai relu il y a quelques mois. A découvrir.

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