« La Malédiction de Rocalbes atteste, une fois de plus, du talent polymorphe de Philippe Grandcoing, capable de se renouveler à chacun de ses romans »
Présentation Éditeur
Quelle idée saugrenue de vouloir acheter un château en Périgord Dominant la vallée de la Vézère où se multiplient les trouvailles archéologiques, Rocalbes avait pourtant tout pour plaire. Mais le séjour d’Hippolyte Salvignac aux Eyzies, capitale mondiale de la préhistoire, tourne vite au cauchemar en ce printemps 1910. Les meurtres se succèdent, tandis qu’archéologues français et étrangers se livrent une guerre impitoyable pour le contrôle des sites. D’étranges personnages mènent un jeu trouble, à l’instar du Suisse Otto Hauser, tout à la fois hôtelier, préhistorien et businessman.
Pour corser le tout, le château de Rocalbes semble abriter de lourds secrets de famille. Il est question d’assassinat, de trésor perdu et de fantôme criant vengeance, le tout sur fond d’alcool et de déchéance sociale. Hippolyte aura bien besoin du soutien du clan Salvignac de son impétueuse compagne Léopoldine et des talents de l’inspecteur Lerouet pour démêler l’écheveau de ces multiples mystères
Origine | |
Éditions | De Borée |
Date | 3 mars 2022 |
Pages | 320 |
ISBN | 9782812927607 |
Prix | 19,90 € |
L'avis de Cathie
La Malédiction de Rocalbes, cinquième tome de la série consacrée aux enquêtes d’Hippolyte Salvignac, a été publié par les éditions De Borée en mars 2022. Le style est soigné tout en étant fluide :
« La serrure ne lui résista que quelques minutes. A tâtons, il se dirigea vers la cabane où l’on stockait les outils. Elle aussi était fermée à clef, mais, là non plus, la serrure ne lui donna guère de fil à retordre. Ayant refermé la porte derrière lui, il alluma la lanterne sourde qu’il avait prise avec lui. Il emporta une petite pioche, une binette et un sarcloir. Il glissa leur manche dans sa ceinture, de façon qu’ils gênent le moins possible ses mouvements. » (Page 8)…
Avec des passages plus saccadés selon les besoin du récit :
« Ils s’étaient équipés pour sortir, de lourds godillots pour Hippolyte, de vieilles bottines éculées pour Léopoldine. Le temps s’était gâté. Il recommençait à pleuvoir. De brèves mais violentes averses. Marie leur conseilla d’enfiler un vêtement de pluie. Il y en avait d’accrochés dans le couloir. Hippolyte déclina. Son paletot de voyage ferait l’affaire. » (Page 70).
Construction : on rentre tout de suite dans l’action dramatique :
« L’homme se retourna. Personne ne le suivait. Les toits pentus des maisons blotties au pied de la falaise se découpaient dans la pâle clarté du clair de lune. Heureusement, la masse sombre de l’église l’enveloppait de son ombre. » (Page 7).
Puis, le récit se fait beaucoup plus lent, empruntant le chemin des écoliers : à Martel d’abord, chez le père d’Hippolyte, avant de se diriger vers le Périgord, à Rocalbes pour entrer dans le vif du sujet.
Fil rouge : les déjeuners, dîners et autres collations qui jalonnent les aventures d’Hippolyte et ses proches, en dignes Français gourmets qu’ils sont.
Aristide Salvignac, père d’Hippolyte, en notaire avisé, a tout prévu pour ses vieux jours et placer au mieux le produit de la vente de certains biens: son fils unique se rendrait acquéreur d’un château en Périgord, non loin de Sarlat, fief de sa famille maternelle, afin de l’habiter l’été et peut-être l’automne. Tandis que le vieil homme l’occuperait dès le printemps. Décision surprenante quand on sait combien il est attaché à son Quercy natal. Pourquoi ce choix de Rocalbes ? Pourquoi s’éloigner à ce point de Martel, d’autant qu’à sa connaissance les campagnes périgourdines n’étaient pas particulièrement prospères ?
C’est décidé : Hippolyte et Léopoldine acceptent de passer quelques jours à Rocalbes, en compagnie d’Eugène Beaupré, le locataire, afin de se rendre compte sur la demeure leur plaît, s’ils pourraient envisager d’y faire de longs séjours. Mais dès leur arrivée aux Eyries, Hippolyte et ses compagnons sont confrontés au meurtre d’un terrassier retrouvé le crâne fracassé à quelques mètres seulement des chantiers de fouilles. L’ambiance est électrique : conflit d’intérêts entre Hauser, propriétaire du chantier incriminé, surnommé « Le Prussien », et Peyrony, autre fouilleur qui compte bien sauvegarder les grottes en les faisant acheter par l’Etat, et mettre ainsi fin aux trafics d’objets préhistoriques.
Le séjour à Rocalbes s’avère mouvementé: effondrement d’une partie de la terrasse à la suite d’un violent orage, dévoilant des restes humains par vraiment préhistoriques, tandis que les morts suspectes d’ouvriers continuent, et qu’Ismaël, le chauffeur du cousin Anatole, est accusé de meurtre suite à un accident de la route aux circonstances plutôt bizarres, dont la victime est encore un employé de Hauser.
Il n’en faut pas plus pour qu’Hippolyte, dépassé par les événements, appelle à la rescousse son ami Jules Lerouet, inspecteur aux Brigades mobiles. Dès son arrivée, ce dernier flaire une affaire plutôt louche. Rocalbes dissimulerait-il un secret qui justifierait les agressions et les meurtres qui jalonnent la petite cité ? Quelqu’un cherche-t-il à se venger ou à nuire à une autre personne ? Jules et Hippolyte auront fort à faire pour venir au bout de la Malédiction qui pèse sur Rocalbes…
Maison de Martel : à la manière des peintres, l’auteur décrit la maison familiale d’Hippolyte en procédant par plans: premier plan, arrière-plan; les couleurs, les ombres et les lumières :
« A l’ombre de la galerie qui courait tout le long de la façade côté jardin, il faisait encore frais, même en début d’après-midi. En revanche, sur la terrasse, Léopoldine profitait pleinement de la douceur printanière. Elle avait posé son châle et exposait ses avant-bras dénudés aux rayons du soleil. » (Page 12).
Château de Rocalbes : description plus terre à terre pour ce domaine convoité par le père d’Hippolyte dans laquelle seul officie l’œil de l’ancien notaire; pas de lyrisme, donc :
« logis d’aspect seigneurial, avec sa tour d’angle carrée, ses deux ailes en équerre flanquées de tourelles et d’échauguettes, ses toits en tuile à forte pente…Perché à l’aplomb d’une falaise, il dominait la vallée qui se perdait dans le lointain. On devinait des jardins en terrasses et un parc aménagé sur le plateau, planté d’arbres de belle venue. » (Page 22).
Contexte historique: depuis quelques décennies, la vallée de la Vézère se révèle un site archéologique préhistorique d’une richesse insoupçonnée: grottes ornées, sanctuaire magdalénien, sépultures, splendides peintures rupestres, squelettes intacts, nombreux objets de la vie quotidienne font tourner les têtes. En effet, les habitants de cette partie de la Dordogne y voient plus une manne leur permettant d’accéder, sinon à la richesse, du moins à une aisance appréciable, qu’un moyen de comprendre comment vivaient nos lointains ancêtres. Le profit prévaut.
En 1910, aucune règlementation ne permettait de protéger les sites de fouilles et les objets exhumés. Les trouvailles réalisées, que ce soit par des particuliers ou des fouilleurs professionnels, ne sont soumises qu’à une seule loi, celle du marché, avec un triste constat: les musées français, à court de moyens financiers, ne pouvant rivaliser avec les riches collectionneurs étrangers, de nombreux objets sont vendus au plus offrant. La seule solution serait de les classer monuments historiques ou de les faire acheter par l’Etat, but que Denis Peyrony s’efforce d’atteindre. D’où la polémique virulente qui l’oppose à Otto Hauser, ce dernier, toujours à cours d’argent pour mener ses fouilles à bien, n’hésitant pas à vendre certaines de ses trouvailles à des musées étrangers.
La Malédiction de Rocalbes atteste, une fois de plus, du talent polymorphe de Philippe Grandcoing, capable de se renouveler à chacun de ses romans : chaque enquête d’Hippolyte Salvignac illustre un contexte différent du précédent, abordant des thèmes aussi divers que variés : trafic d’objets religieux ; conflits sociaux et émancipation des peuples ; faits divers réels (le crime de l’impasse Ronsin et l’assassinat du beau-frère de Claude Monet) ; crise internationale autour des patriotes hongrois ; polémique autour des découvertes archéologiques majeures en Dordogne. Nous entraînant à Paris, en province, mais aussi à l’étranger.
Les reconstitutions historiques plus vraies que nature, la documentation discrète mais solide, les personnages tout en contraste à la psychologie étudiée (je pense notamment au personnage de Léopoldine, certes apparue au cours du quatrième tome, femme artiste émancipée, qui illustre bien l’évolution sociale concernant la place et le rôle des femmes), la fine analyse des événements politiques sous-jacents des intrigues criminelles confèrent à cette série des qualités indéniables tant le propos de l’auteur est brillant tout en étant accessible. S’instruire en se divertissant. Voilà une missions remportée haut la main.