Alice QUINN : Une enquête à la belle époque – 01 – La lettre froissée

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Alice QUINN - enquete la belle epoque - 01 - La lettre froissee
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  • Éditions City le 17 janvier 2018
  • Pages : 415
  • ISBN : 9782824611211
  • Prix : 19,00 €

PRÉSENTATION ÉDITEUR

Cannes, printemps 1884

Plus rien ne semble devoir sourire à Miss Gabriella Fletcher : l’aristocrate britannique, déjà déclassée en raison de sa ruine et de ses préférences amoureuses, vient de perdre son emploi en même temps que son amante, et son avenir s’annonce bien sombre. C’est alors qu’elle tombe sur une petite annonce qui pourrait bien devenir sa planche de salut…

La voilà gouvernante de Filomena Giglio, dite « Lola » : sa villa « Les Pavots » est dans un état déplorable et ses mœurs sont pour le moins dissolues, mais cette patronne hors du commun n’est pas pour déplaire à Miss Fletcher, loin de là.

Malheureusement, le répit est de courte durée. Un messager inattendu – un certain Maupassant – débarque, porteur malgré lui d’une mauvaise nouvelle : Lola, dont la rente va être suspendue, risque l’expulsion. Une sorte de fatalité semble s’acharner sur la jeune femme quand, peu de temps après, son amie d’enfance Clara, qui l’avait justement appelée à l’aide quelques jours plus tôt, est retrouvée morte dans des circonstances troublantes. Lola la courtisane, Gabriella la déclassée et Maupassant l’écrivain décident de relever le défi : résoudre l’énigme du décès de Clara et trouver l’argent pour ne pas se retrouver à la rue. Leur détermination suffira-t-elle dans un monde où la fortune, les hommes et les apparences règnent en maîtres ?

L’AVIS DE CATHIE L.

La lettre froissée a été publié par City Editions en 2018. Grâce au nombreux adjectifs et aux phrases courtes, le rythme est vif, le vocabulaire soigné sans être trop recherché: « J’ai oublié de mentionner que votre regard triste trahit votre récente et malheureuse aventure, vous êtes une mélancolique, légèrement dépressive, mais ce sera peut-être momentané. » (Page 23). Le ton est léger, enjoué, un rien frondeur.

L’histoire étant racontée à la première personne selon le point de vue de miss Fletcher, certains épisodes sont relatés en décalage, après qu’elle en ait pris connaissance, créant ainsi un effet de flash-back savamment orchestré. S’il veut en savoir plus, le lecteur doit attendre que miss Fletcher soit elle-même informée :

« Bien entendu, ce qui se passa -comme bien d’autres scènes encore, auxquelles je n’eus aucune part active- me fut conté par mes amis plusieurs heures plus tard seulement. » (Page 53).

Les nombreux dialogues, les scènes burlesques, rendent le roman particulièrement vivant :

« La procession composée cette fois du directeur suivi des trois autres, se précipita sans tarder dans la descente. Lola était entrée seule dans le palace et la cavalcade s’acheva à quatre, après avoir marqué des pauses un peu partout, hall d’entrée, sous-sol, étage supérieur. » (Page 64).

Mais le ton léger adopté par l’auteur ne doit en aucun cas masquer le sérieux et parfois la gravité des thèmes abordés par La lettre froissée : la misère, la condition féminine, les inégalités entre les classes sociales, l’homosexualité, le statut des femmes étant le plus récurrent. Autre temps, autres mœurs : les convenances sociales concernant les femmes pesaient plus lourd qu’aujourd’hui, contexte qu’Alice Quinn a su remarquablement restituer dans la trame de son roman, au fur et à mesure des investigations de Gabriella et de Lola. Au sein de la bourgeoisie : « Il n’était pas facile d’être servie dans un café si on n’avait pas un homme à son bras (…) Quand je l’ai rejointe, mal à l’aise, elle était déjà installée à une table en bordure de l’Allée. Le serveur hésitait à s’approcher d’elle et de mon côté, je répugnais à l’idée de me faire chasser comme une indésirable ». (Page 152)… Comme dans le monde du théâtre : « Mais je découvrais une réalité que j’ignorais et qui ne semblait pas le moins du monde choquer les autres. Ils avaient l’air de trouver naturel qu’une actrice ou qu’une chanteuse ne puisse pas survivre sans vendre son corps. A bien y réfléchir, c’était aussi le cas des petites ouvrières, de toutes les petites mains, et cela dès leur plus jeune âge. » (Page 285) => Les temps ont-ils vraiment changé ??

L’intrigue

Cannes. Printemps 1884. Gabriella Fletcher, aristocrate anglaise ruinée, est sur le point de se jeter à l’eau lorsque son regard est attiré par une annonce parue dans le journal: « Demande personne cultivée et distinguée pour conseils avisés… » C’est ainsi qu’elle fait la connaissance de Filomena Giglio, courtisane de son état, qui, ambitionnant d’évoluer dans les hautes sphères, a besoin de leçons de maintien et de culture générale. Gabriella croit avoir enfin trouvé une situation stable. Mais lola, abandonnée par son Eugène, dont la famille lui coupe les vivres, est aux abois et ne peut plus subvenir aux besoins de son petit monde.

C’est alors que le corps de Clara Campo, amie d’enfance et femme de chambre à l’hôtel Beau Rivage, un palace situé tout près de la ville louée par Lola, est retrouvé sans vie dans les jardins de l’hôtel. Deux jours plus tôt, Clara avait envoyé à son amie une lettre pour lui demander conseil, lettre à laquelle Lola a négligé de répondre. Cette lettre a-t-elle un rapport avec le meurtre de la jeune femme ?

Conscients que l’enquête officielle sera bâclée (quel intérêt peut susciter le meurtre d’une banale femme de chambre dans une ville destinée à la villégiature des têtes couronnées d’Europe ?), Gabriella, Lola et Guy de Maupassant décident de chercher la vérité. Mais le parcours du singulier trio formé par l’aristocrate déchue, la courtisane ruinée et l’étoile montante de la littérature française sera semé d’embûches, car, dans un monde aveuglé par les apparences, on ne s’attaque pas impunément à la réputation de gens fortunés…

Les lieux

Dans un roman historique, qu’il soit policier ou non, les lieux revêtent une importance spécifique, incarnant une réalité disparue dans laquelle le lecteur doit néanmoins trouver ses repères. La villa Les Pavots, où vit Lola et dans laquelle se déroulent bon nombre des scènes de ce roman, est délicieusement décrite. On se trouve aussitôt transporté à l’époque des stations balnéaires avec leurs villas tout entière dédiée à la villégiature de leurs riches propriétaires : « C’était un chalet à la mode avec balcon (…) » dont les rosiers bourgeonnant rachetaient le maniérisme de la façade. « La demeure était encadrée, sur son côté et son arrière, de dépendances, d’un potager, d’un bassin d’arrosage avec lavoir, d’une petite basse-cour, d’une remise avec box pour des chevaux. » (Page 9).

Offrant une profusion toute méridionale : « Un joli jardin à l’avant, luxuriant, offrait à la vue un palmier, un bananier, un buisson de laurier rose, le fameux rosier grimpant jusqu’aux fenêtres du premier, tout en bourgeons (…) Un banc de fer forgé, quelques fauteuils d’osier et une jolie table de bois exotique invitaient à la détente (…) Tout sentait le neuf. Jusqu’aux plaques de faïence élégamment décorées de fleurs de coquelicots et clamant le nom de la maison: Les Pavots. (Pour plus de précision sur l’existence de cette villa, je vous invite à vous rendre en fin d’ouvrage).

Ambiance Cannes: Alice Quinn donne un aperçu très réaliste de la station balnéaire de Cannes, son atmosphère de villégiature pour privilégiés et têtes couronnées, recommandée pour son air sain, son climat doux en hiver et ses bains de mer salvateurs. On y trouve toute une population très disparate : « Mais il y a aussi les musiciens, les peintres, les écrivains. N’oublions pas la catégorie des malades et des agonisants qui traînent leur triste spectacle lugubre au soleil sur la promenade (…) Et dans la traîne de la comète, les espions, les filous, les escrocs, les imposteurs… » (Page 42)… « Après tout, nous vivons dans une ville où durant six mois de l’année, tous les plus grands noceurs que compte l’Europe se retrouvent pour faire la fête, manger, boire, danser, jouer…-Oui, l’argent coule à flots ici. » (Page 158).

Mon avis

La lettre froissée présente plusieurs atouts non négligeables : la reconstitution historique du Cannes de La Belle-Epoque très réaliste, bien documentée; le trio inédit formé par Lola, la courtisane issue du ruisseau qui ne pourra jamais faire partie du grand monde, Gabriella, l’aristocrate anglaise déchue contrainte de travailler pour subsister et Guy de Maupassant, l’étoile montante de la littérature réaliste très en vogue à cette époque. Tous les personnages sont bien campés, les lieux bien restitués, les thèmes abordés donnent une réelle épaisseur au roman qui ne se contente pas de raconter une enquête policière, mais montre l’envers du décor: la misère, la prostitution forcée, la précarité.

Petit bémol : nombreux flottements dans la concordance des temps, l’auteure utilisant le passé composé au lieu du passé simple et de l’imparfait traditionnellement employés comme temps de la narration au passé. J’avoue, puriste que je suis, que cela a souvent gêné ma lecture.

Le + : la modernité de la méthode d’investigation utilisée par Miss Fletcher, inspirée des tous derniers dispositifs mis au point par Scotland Yard : « C’est ainsi que procèdent les détectives de Scotland Yard. Ils inscrivent tout et classent leurs notes ensuite. » (Page 97). Autre petit + :   le côté érudit du roman avec les très nombreuses allusions littéraires qui, loin d’alourdir, donnent au récit une crédibilité supplémentaire. Après tout, n’oublions pas que Maupassant fait partie du casting !!

En résumé, une belle réussite pour ce roman policier historique original, un très agréable divertissement. La suite dans Le portrait brisé

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Cathie L.https://goo.gl/kulVbu
Ecrivain de romans historiques, chroniqueuse et blogueuse, passionnée de culture nordique et de littérature policière, thrillers, horreur, etc...

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2 Commentaires

  1. Merci à Cathie Louvet pour sa chronique qui m’a réjouie.
    C’est un honneur venant de la part d’une romancière de romans historiques.
    Ce n’est pas tous les jours qu’on trouve des chroniques aussi passionnées, détaillées, approfondies.
    Cette reconnaissance d’un travail de longue haleine est rare, et j’avoue que ça fait du bien!
    Merci Cathie Louvet​ !
    (Pour le passé composé, c’est un choix, difficile à toujours tenir, mais indispensable pour moi pour tenter de mettre de la vie quotidienne dans un récit historique.)
    Mais je comprends la remarque ;-)! merci merci <3

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