Shirley JACKSON : La maison hantée

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Shirley Jackson maîtrise à coup sûr son sujet : nul besoin d’effets spéciaux spectaculaires pour susciter une sensation de malaise et de doute dans l’esprit du lecteur.

INFOS ÉDITEUR

Shirley JACKSON - La maison hantee
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Parution aux éditions Le Masque 1979

Parution aux éditions Pocket le 12 mars 1993

Parution aux éditions Pocket le 14 octobre 1999, sous le titre « Hantise »

Parution aux éditions Rivages le 9 novembre 2016

Traduit par Fabienne Duvigneau, Dominique Mols

Construite par un riche industriel au XIXe siècle, Hill House est une monstruosité architecturale, labyrinthique et ténébreuse, qui n’est plus habitée par ses propriétaires. On la dit hantée. Fascine par les phénomènes paranormaux, le docteur Montague veut mener une enquête et sélectionne des sujets susceptibles de réagir au surnaturel. C’est ainsi qu’Eleanor arrive à Hill House avec ses compagnons. L’expérience peut commencer. Mais derrière les murs biscornus, les fantômes de la maison veillent et les cauchemars se profilent…

(Source : Rivages – Pages : 272 – ISBN : 9782743637989 – Prix : 8,20 €)

L’AVIS DE CATHIE L.

shirley jacksonShirley Jackson est née le 14 décembre 1916 à San Francisco en Californie et est morte le 8 août 1965 à North Bennington dans l’état du Vermont. Spécialiste du récit fantastique et d’horreur, son livre Maison hantée est considéré par Stephen King comme l’un des meilleurs romans fantastiques du 20 ème siècle.

Elle obtient son diplôme à l’université de Syracuse, située dans l’état de New-York, en 1940. La même année, elle épouse l’écrivain Stanley Edgar Hyman. En 1948, paraît son premier roman d’horreur The Road throught the Wall ; il sera suivi d’une série de nouvelles publiées dans un recueil intitulé La loterie et autres histoires dans lesquelles apparaissent les qualités qui feront la célébrité de Shirley Jackson : mise en situation ancrée dans un quotidien banal, presque routinier; des personnages au passé trouble et à la personnalité cachant un côté sombre ; une capacité machiavélique à entretenir le doute du lecteur concernant des événements surnaturels s’imposant peu à peu dans le quotidien. Shirley Jackson est devenue célèbre avec la publication de son roman gothique moderne Nous avons toujours vécu au château.

Le roman

La Maison hantée, The Haunting Hill en version originale publiée en 1959, a été publié une première fois en 1979 par la Librairie des Champs-Elysées, dans la collection « Le masque fantastique » ; puis en 1993 par les éditions Presses-pocket et en 1999 sous le titre Hantise par le même éditeur. Le roman connut une nouvelle traduction en 2016 par les éditions Payot et Rivages sous le titre La maison hantée.

La Maison hantée, roman très original sur le thème de l’analyse scientifique des phénomènes paranormaux, est écrit à la troisième personne, du point de vue d’Eleanor, alors qu’il serait logique que l’histoire soit racontée selon le point de vue du docteur Montague, instigateur de l’expérience. Est-ce à dire qu’Eleanor serait le personnage-clé, le catalyseur en quelque sorte des énergies qui circulent dans la maison ??

La Maison hantée est un roman à la construction complexe, utilisant parfois le ton plus léger et la symbolique du conte de fées, notamment dans le passage où Eleanor, en route pour Hill House, imagine qu’elle « se rangerait sur le bas-côté, bien qu’en réalité se soit interdit et qu’elle risque une amende, puis s’aventurerait à pied derrière le rideau des arbres et s’enfoncerait dans la campagne verdoyante. Elle marcherait peut-être jusqu’à l’épuisement, en chassant les papillons ou en suivant le ruisseau, et enfin, à la tombée du jour, elle parviendrait à la cabane d’un pauvre bûcheron qui lui offrirait l’hospitalité. » (Page 23) => Allusion à peine voilée au conte « Boucle d’or et les trois ours » ou « Le petit chaperon rouge ».  Ou par exemple dans la scène où Eleanor se trouve devant le portail d’entrée de la maison fermé par une lourde chaîne,  attendant que le gardien veuille bien la laisser entrer (symbolique du personnage qui veut entrer dans un endroit fermé, presque interdit, souvent repris dans les contes et récits mythologiques comme faisant partie d’un parcours initiatique, d’une épreuve  à laquelle le personnage doit se soumettre s’il veut continuer sa quête : la porte des Enfers, Alice au Pays des Merveilles, etc…) :

« Elle savait, bien sûr, qu’il prenait plaisir à abuser de son autorité, comme si, en déverrouillant le portail, il perdrait la supériorité provisoire dont il se croyait investi. Et moi ? pensa-t-elle, ai-je un quelconque pouvoir sur lui. C’est moi qui suis DEHORS, après tout. » (Page 35).

L’intrigue

Le docteur Montague, anthropologue spécialisé dans les manifestations surnaturelles, loue Hill House, afin d’étudier scientifiquement sa réputation de maison hantée, « observer et vérifier les rumeurs peu engageantes qui entouraient cet endroit depuis 80 ans ». Pour mener sa mission à bien, il engage trois assistants: Eleanor Vance, Theodora et Luke Sanderson, le propre neveu de l’actuelle propriétaire du château.

Le premier soir, après le dîner, le docteur Montague raconte l’histoire de la maison : Hugues Crain, son bâtisseur, y ayant perdu ses trois épouses successives, décide de fermer la maison, la léguant à sa fille aînée qui elle-même la léguera à sa servante, une jeune fille du village. Mais la fille cadette de Crain, refusant de céder ce qu’elle considérait comme son patrimoine, intenta un procès qu’elle perdit. Bien loin de renoncer, et soutenue par les gens du village, elle mena une habile campagne de haine contre la propriétaire légitime la conduisant au suicide. Après la mort de la jeune fille, la maison revint à ses cousins, les Sanderson, parents de l’actuelle propriétaire qui n’a jamais vécu dans la maison à la réputation sulfureuse, laquelle accepta de la louer au docteur Montague pour mener ses expériences.

Les trois assistants, décidés à ne pas se laisser influencer par ce récit troublant, continuèrent à vaquer à leurs occupations en conservant leur sang-froid autant que possible, vues les circonstances. Pourtant, peu à peu, leurs nerfs sont mis à rude épreuve et le doute s’installe dans leurs esprits. Les bruits étranges et les sensations de froid intense sont-ils réels ou le fruit de leur imagination ? Haunting Hill est-elle réellement hantée. L’arrivée de madame Montague, medium réputée et collaboratrice de son mari, et de l’ami du couple Alfred, censée analyser les phénomènes, bien loin d’apaiser les tensions, amplifie les phénomènes étranges qui semblent tous dirigés vers la jeune Eleanor. Hill House est-elle vraiment hantée ou tous les étranges événements qui se manifestent sont-ils issus de l’imagination de la jeune femme ?

Les personnages

  • John Montague : anthropologue spécialisé dans l’étude scientifique des manifestations surnaturelles.
  • Eleanor Vance : 32 ans, jeune femme timide, craintive; infirmière autodidacte, s’est occupée pendant onze ans de sa mère invalide, qui vient de décéder, la laissant seule avec pour toute famille une sœur mariée et mère d’une fille de cinq ans ; en raison de son existence entièrement dévouée à sa mère, n’a pas d’amis ni de vie sociale; se trouvait sur la liste du docteur Montague comme assistante potentielle car, à l’âge de douze ans, alors que son père était mort le mois précédent, une pluie de pierres s’était abattue sur leur maison, brisant les fenêtres et tambourinant follement sur le toit. Le phénomène avait duré trois jours par intermittence obligeant Eleanor et sa sœur à se réfugier chez des voisins ; après leur départ, le phénomène avait cessé et n’avait plus jamais recommencé. Pour la première fois de sa vie, voyage seule pour un long trajet: voyage initiatique ?? Assurément un personnage à part, qui ne ressent pas les choses comme les autres.
  • Theodora : femme décidée, sûre d’elle, entreprenante et courageuse, l’exact contraire d’Eleanor ; son univers se compose de plaisirs et de couleurs douces. Elle partage son appartement avec une amie. Elle se trouve sur la liste du docteur Montague parce qu’elle a réussi, au cours d’une expérience, à deviner 18 cartes sur les 20 qui lui furent présentées.
  • Luke Sanderson : neveu de la propriétaire de Hill House; menteur, voleur ; on ne sait pas précisément pour quelle raison il participe à l’expérience du docteur Montague sinon qu’il appartient à la famille de la propriétaire.
  • Monsieur Dudley: gardien de Hill House, personnage très rébarbatif avec un visage aux trait tordus.
  • Madame Dudley : femme du gardien, aussi revêche que son mari ; figure maussade et méchante, elle est le reflet de la méchanceté qui se lit sur les traits du concierge.
  • Madame Montague : épouse du docteur Montague; aucune description ; on sait seulement qu’elle est medium et qu’elle l’assiste parfois dans ses expériences.
  • Arthur Parker : professeur, ami du couple ; aide madame Montague dans ses propres expériences de medium.

Les lieux

Les premières pages du roman décrivant le voyage qu’entreprend Eleanor afin de rejoindre l’équipe du docteur Montague paraissent tout à fait anodines, comme racontant une histoire ordinaire. Tout semble d’une déconcertante banalité jusqu’au moment où la jeune femme arrive dans le village d’Hillsdale, dernière étape avant Hill House.

Malgré les recommandations du docteur Montague de ne pas s’y arrêter, Eleanor, qui a envie d’une pause après son long voyage et qui veut se démontrer qu’elle est capable à présent de se comporter en personne autonome, décide de faire une petite halte pour prendre un café. « Le village, petit et informe, entassait ses maisons sales autour de rues tortueuses. On apercevait le croisement à l’autre bout de la rue principale, avec la station-service et l’église. Il n’y avait qu’un seul endroit où boire un café, et c’était un établissement fort peu attrayant. » (Page 29) => Le décor jusque-là plaisant et agréable, devient pesant, comme si une menace impalpable sourdait des murs du village, impression renforcée par l’attitude étrange de la serveuse et de l’homme installé au bar qui adresse à Eleanor un avertissement à peine déguisé :

« Ici, les gens partent. Ce n’est pas un endroit où on vient. » (Page 32).

Cette impression se précise lorsque Eleanor se retrouve face à la maison. De son architecture particulière émane un fort sentiment d’étrangeté, comme si l’ensemble des pierres, des tourelles, des fenêtres qui la composent était capable de s’animer et de manifester déplaisir et contrariété. Cette sensation émane-t-elle de sa décoration très victorienne :

« Quelle curieuse architecture, se dit-elle. A l’époque, on construisait partout es tours et des tourelles, des contreforts garnis de bois finement sculpté, parfois même des flèches et des gargouilles. Jamais rien qui demeurât sans ornement. » (Page 39)…

Ou de sa conception défiant les lois de l’architecture :

« Aucun œil humain n’est capable d’isoler l’élément précis qui, dans la composition malheureuse des lignes et des espaces, donne une allure diabolique à une maison. Il y avait là cependant un je-ne-sais-quoi -une juxtaposition insensée, un angle mal conçu, une rencontre hasardeuse entre ciel et toiture- par lequel Hill House respirait le désespoir. Vision d’autant plus terrible que la façade semblait en éveil, avec ses fenêtres sombres évoquant les yeux d’un vigile, surmontés de temps à autre par le sourcil inquiétant d’une corniche. » (Page 41).

Quelques pages plus loin, lorsque Eleanor pénètre dans sa chambre, on s’attende légitimement à trouver un décor aussi sombre et terrifiant que la façade. Mais il n’en est rien; certes, l’aménagement de la chambre est un peu vieillot, mais tout à fait anodin : « Les deux fenêtres, qui donnaient sur le toit de la galerie et la pelouse, étaient pourvues de rideaux de damas bleu. Sur le lit, un édredon bleu et un couvre-pied bleu. Aux murs, au-dessus des lambris sombres qui s’élevaient à hauteur d’épaules, un papier peint bleu, orné de minuscules fleurs bleues délicatement assemblées en couronnes et en guirlandes. » (Page 47) => C’est ce savant mélange de banalité et d’étrangeté qui confère au roman son côté déroutant, qui instille le doute dans l’esprit du lecteur  : cette maison est-elle vraiment hantée ? N’est-ce pas moi qui m’imagine des choses qui n’existent pas, qui me laisse influencer car finalement rien ne justifie ce trouble, ce malaise que je ressens de manière diffuse.

L’ambiance

Tout le génie de l’auteur consiste à instiller malaise et doute aux moments les plus anodins, quand on ne s’y attend pas, par exemple quand le docteur Montague et ses assistants prennent un verre dans le salon et devisent tranquillement : « Elle (Eleanor) sentait le mince pied de son verre entre ses doigts, le dossier du fauteuil trop droit contre son dos, et elle avait conscience de légers souffles d’air dans la pièce, que l’on ne percevait qu’à d’infimes frémissements de glands ou de perles. » (Page 77) Ces souffles d’air sont-ils dus à des courants d’air tout à fait légitimes dans une vieille demeure ou sont-ils le fait de manifestations surnaturelles ?

Sans cesse, les personnages, tout comme le lecteur, oscillent entre une sourde angoisse qui liquéfie leurs entrailles et leur esprit rationnel qui reprend le dessus: « La maison! elle surveille vos moindres gestes! Puis il se reprit: Mais, bien sûr, je me laisse emporter par mon imagination. » (Page 95).

Mon avis

Voilà un roman fantastique qui ravira les plus exigeants, car les nombreuses années qui sont passées depuis sa première publication ne lui ont pas fait prendre une seule ride. Shirley Jackson maîtrise à coup sûr son sujet : nul besoin d’effets spéciaux spectaculaires pour susciter une sensation de malaise et de doute dans l’esprit du lecteur. Pourtant, La Maison hantée utilise tous les éléments classiques du genre : le voyage initiatique ; les avertissements des villageois ; le gardien patibulaire ; la gouvernante glaciale ; la grande maison à l’architecture peu banale ; les sombres sous-bois. Mais un récit qui pourrait se contenter d’être banal devient, grâce à la plume talentueuse de l’auteur, une histoire fort dérangeante dont la lecture ne laisse pas indemne.

La frontière entre rationalité et surnaturel s’avère ici bien floue. Qui un jour n’a pas cru apercevoir une ombre blafarde flotter au fond d’un couloir obscur ? Qui n’a jamais confondu les mugissements du vent dans les arbres un soir de tempête avec des gémissements humains venus d’on ne sait où ? Et qui n’a jamais sursauté dans son fauteuil en entendant le parquet grincer alors qu’il se croyait seul ? Car tout est là !!! Jouer avec les nerfs sensibles du lecteur et l’amener à se demander si La Maison hantée l’est vraiment….

 

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Ecrivain de romans historiques, chroniqueuse et blogueuse, passionnée de culture nordique et de littérature policière, thrillers, horreur, etc...

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