Interview de l’auteur Lucienne CLUYTENS

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interview lucienne cluytensSébastien MOUSSE : Bonjour Lucienne, tu offres, avec Miss Lily-Ann, à ton lectorat un livre moins noir, plus cynique et drôle, une sorte de pamphlet sur la crise, pourquoi ce choix ?

Lucienne CLUYTENS : Un pamphlet, non. Mais la grande Histoire (la crise économique ici) interfère toujours dans le destin des êtres ordinaires, pas seulement dans celui de leurs dirigeants. Alors dans ce polar, j’ai voulu montrer comment une crise économique mondiale provoque aussi une crise morale dans la vie de tous les jours des gens qui y sont confrontés. Le choc des valeurs traditionnelles qui n’ont plus cours contre les nouvelles valeurs induites par la modernité, la mondialisation, provoque des drames humains.

SM : On sent dans l’écriture que tu t’es énormément amusée à dépeindre ces portraits, leurs caractères, leurs qualités et défauts. On y retrouve des âmes charitables, des salauds, tout ce qui peuple notre joli monde. Tu t’inspires de gens que tu connais, as connu, que tu côtoies ?

LC : Si je ne m’amuse pas en écrivant, alors ce n’est plus la peine d’écrire. J’écris d’abord pour me faire plaisir. Et me faire plaisir, c’est inventer des personnages bien vivants, psychologiquement bien campés qui vont subitement être confrontés à un ou des meurtres. Le meurtre pour moi est une énigme et j’essaie de comprendre pourquoi des gens ordinaires tuent. Comment on passe de l’autre côté de la barrière… Les « motifs », dirait Nietzsche.

D’où sortent mes personnages ? J’ai coutume de dire que dans tous les personnages de mes romans, il y a un peu de moi. Mais aussi bien sûr, des personnes que je rencontre (les réelles et les virtuelles). D’ailleurs, cela se fait souvent inconsciemment. Comme tous les auteurs, je m’inspire de ce que ma mémoire a emmagasiné depuis des années. Quand on crée (peinture, musique, écriture…) on utilise son imagination. Mais sur quoi s’appuie-t-elle ? Ça ne tombe pas, comme ça, du ciel. L’imagination se nourrit de tout ce qu’on a vu, lu, entendu depuis notre naissance. J’imagine un grand chaudron au fond de mon cerveau dans lequel se déverse une tonne d’ingrédients tous les jours et qui mijote sans que ma volonté intervienne. Un personnage est souvent un petit bout de celui-ci, un petit bout de celui-là… Et parfois même des gens disent se reconnaître alors que je n’ai pas pensé à eux. C’est flatteur.

SM : La plupart de tes collègues auteurs cèdent en ce moment à l’appel du psychopathe, du tueur en série, du cadavre méchamment mutilé, toi, non tu restes classique, la construction de l’intrigue est solide. Doucement mais sûrement tu vas distiller des indices au fur et à mesure, tu vas créer de vrais personnages, avec des caractères « de tous les jours », des gens simples qui dérapent. Aucune tentation de verser dans le glauque, dans l’hémoglobine à profusion ?

LC : Je n’accroche pas à l’horreur. Je n’en lis pas, je n’en regarde pas à l’écran. Ça me fait gerber. J’ai bien essayé mais j’ai décroché à chaque tentative. Je sais que ça existe. Je laisse ça à d’autres plus doués. Quand j’ai dû décrire comment la grosse, Eva, avait fait pour tuer sa rivale, le corps à corps pour déjà l’endormir au chloroforme avec les chairs qui se touchent, qui gigotent l’une contre l’autre car bien sûr la victime n’était pas d’accord, j’ai dû réécrire le paragraphe à de nombreuses reprises et pas de gaîté de cœur. Je voulais faire ressentir au lecteur l’aversion qu’Eva avait pour ce qu’elle était en train de faire. Ça a été un vrai cauchemar pour moi.

SM : Le commandant Flahaut est un flic atypique, c’est le moins que l’on puisse dire, pas un fanatique de la procédure, mais le genre de personnage que l’on aime bien, un flic attachant. On le retrouvera encore ?

LC : Un solitaire, épris de justice (je le qualifie parfois de psycho rigide) mais en profond désaccord avec le fonctionnement carriériste de ses supérieurs et ses collègues. Dans Miss Lily-Ann, il en est à sa quatrième enquête. Une cinquième aventure est terminée. Je n’ai pas envie de l’abandonner. Se mettre dans la peau d’un homme est assez jouissif.

SM : Si l’on doit écouter une musique, une chanson en lisant Miss Lily-Ann, laquelle et pourquoi ?

LC : La musique culte du film “In the mood for love”. J’ai adore le film, bien sûr, mais j’ai eu un coup de foudre pour les vêtements de l’héroïne, ces cols montants très hauts des tuniques de soie qu’elle porte et qui mettent en valeur d’une façon très romantique son long cou gracile. Ils m’ont inspiré la ligne de vêtements « Miss Lily-Ann » qui est au cœur de l’intrigue de mon polar.

SM : Si tu devais faire lire ton livre à un personnage, fictif, réel, mort, vivant, peu importe, qui serait-ce ?

LC : Ce serait Simenon pour lui demander après lecture : « Est-ce que vous avez pris plaisir à entrer dans ce microcosme ? Vous semble-t-il crédible ?

SM : Quelle est ton actualité littéraire du moment Lucienne ?

LC : Polars, philosophie et critique sociale de Philippe Corcuff (avec des dessins de Charb). J’essaie de comprendre pourquoi le polar a tant la faveur du public car je suis sûre que ce n’est pas qu’une mode mais qu’il répond à un besoin profond des lecteurs. Je m’accroche car c’est assez ardu (pour moi).

SM : Lucienne, je te remercie de m’avoir accordé un peu de ton temps.

Paru dans Résonance Funéraire

Retrouvez la chronique de son livre ici : Miss Lily-Ann

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Après avoir passé 30 ans à préserver les corps des défunts, Stanislas Petrosky est aujourd'hui enseignant en thanatopraxie dans un centre de formation spécialisé. Auteur de nombreux ouvrages, il débute aujourd'hui une série autour de l'une de ses passions, l'anthropologie criminel et ses fondateurs. Prenant pour base de véritables affaires traitée par le professeur Alexandre Lacassagne, Stanislas Petrosky plonge avec érudition dans ce monde si particulier qu'est le monde du crime au tournant du XIXe siècle.

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