Un esprit de vengeance comme narrateur dans Bella Ciao Istanbul
Présentation Éditeur
« J’ai la trouille. Ils sont capables de tout. Même ce type hier au téléphone, voix maîtrisée d’employé modèle aux ordres de ses supérieurs et de son pays, je suis sûr qu’il a enregistré la conversation pour mieux me confondre plus tard. Je m’attends dans les jours prochains à ce qu’ils débarquent chez moi ». Un expatrié français vivant à Istanbul, prend peur suite à une altercation téléphonique dans laquelle, excédé, il tient de vifs propos à l’encontre du pays qui l’accueille. En butte à différentes tracasseries, il tente de survivre dans le chaos de l’Histoire d’une nation où coups d’état et répression règlent le jeu. Un jour, l’hymne révolutionnaire italien Bella Ciao retentit depuis une mosquée d’Istanbul.
Origine | |
Éditions | Most |
Date | 15 octobre 2021 |
Pages | 268 |
ISBN | 9782960256987 |
Prix | 17,90 € |
L'avis de Nicolas Bücher
Où s’arrêtent le militantisme et l’activisme et où commence le radicalisme ? Le personnage principal de Bella Ciao Istanbul est un expatrié français vivant dans le quartier conservateur et historique d’Istanbul, la plus grande ville de Turquie. Dans le palmarès, on retrouve Izmir, cette cité touristique et antique, qui s’appelait autrefois Smyrne. Un trésor des civilisations, qui a toujours été convoité par les empires. Au mois de mai 2020, en plein confinement face au coronavirus, toutes les mosquées de la métropole sont fermées. Pourtant, les autorités turques ont constaté un phénomène étrange, un acte de sabotage. Le représentant de la présidence a qualifié cet acte « répugnant », mais qu’en penser réellement ? Le système audio d’appel à la prière est automatique dans de nombreux édifices du pays. Celui-ci a été piraté par des personnes non identifiées, sans doute des opposants au pouvoir. Le chant révolutionnaire italien « Bella Ciao » a pu être entendre dans plusieurs lieux de culte, dans toute la ville. Un acte illégal et répréhensible, qui a été pourtant salué par une ribambelle d’utilisateurs des réseaux sociaux, dont Twitter. À la grande échelle et pour les connaisseurs, Izmir est vraiment un des centres privilégiés par le Parti républicain du peuple, le bord politique laïc fondé par Mustafa Kemal Atatürk. À la fois pro-européen et nationaliste, la pensée française peine à comprendre, puisque Erdogan appartient au parti d’opposition en Turquie, tant il est adulé et adoré. La figure d’Atatürk est partout en Turquie et les six points du mouvement kémaliste sont très contradictoires : républicanisme, populisme, laïcité, révolutionnarisme, nationalisme, étatisme… Finalement, est-ce que diffuser un tel chant pourrait s’inscrire dans la digne lignée de l’esprit turc ? Cette pensée multiple, souvent fascinante, car glanée par des siècles de mélanges de culture…
L’auteur Pierre Fréha glisse de nombreux messages polémistes, qui ont pour vocation de faire réfléchir son lectorat et de s’intéresser à la crise actuelle vécue en Turquie. Ce pays a-t-il déjà connu la paix ? Et quel est réellement cet État fragmenté, qui a tant plu à son personnage, Danilo Brankovic ? Ce dernier ne manque pas de toupet. À plusieurs reprises, il ose proférer des injures et surtout : il dit ce qu’il pense. Certes, avec virulence, mais il le dit. La liberté de pensée et d’expression sont des droits humains qui semblent inaltérables. Dans la vraie vie, de nombreuses figures militantes en paient le prix. L’ancienne avocate et journaliste Eren Keskin par exemple, continue de se battre, condamnée à moult reprises. Pourtant la constitution turque de 1982, l’article 26 protège la liberté d’opinion : « Chacun possède le droit d’exprimer, individuellement ou collectivement, sa pensée et ses opinions et de les propager oralement, par écrit, par l’image ou par d’autres voies. Cette liberté comprend également la faculté de se procurer ou de livrer des idées ou des informations en dehors de toute intervention des autorités officielles (…) » Force est de constater que le personnage de Danilo Brankovic fait face à des policiers qui ne semblent pas vraiment respecter cette loi. Cependant, peut-on considérer que ses propos soient des outrages ? Quoiqu’il en soit, Danilo n’en peut plus. En réaction, ce dernier ne fait pas grand-chose, car « il a la trouille ». Cette peur qui l’habite et le tétanise n’a que peu d’effets productifs. Certes, il discute et échange avec son entourage appartenant à cette nationalité qu’il critique tant. En visant le peuple turc, Brankovic met tout le monde dans le même sac. Dénonciateur du racisme et des discriminations vécues au quotidien, le narrateur use de la parole et de ses rencontres pour propager son mécontentement.
Le personnage principal de ce roman est homosexuel, engagé et activiste à sa manière. Très paranoïaques (à juste titre), des policiers viennent à sa porte pour le menacer. Cette intrusion dans son espace privé est le début de sa chute. Dans un contexte mondial très spécial qu’est la crise liée au virus Covid-19, le protagoniste constate qu’il est jugé différemment. Puisqu’il est étranger, il subit un traitement spécifique. Suspecté d’être positif à la maladie, il est dénoncé par son entourage. Pendant ses balades, il transgresse les ordres concernant le confinement, en laissant son téléphone à la maison. Cette soif de liberté se traduit par une attitude sans cesse provocatrice, mais qui reflète en réalité une profonde déception. Dans cette rupture entre le personnage et cette ville qu’il a tant aimée, la réalité le rattrape. Des attentes élevées qui le feront dégringoler, le séparant de ses connaissances et amis, dont le patient et introverti Hakan, le professeur charismatique Murat et sa belle fiancée Merve. Dans cette traversée difficile, l’auteur mêle ses expériences pour les insuffler dans un ouvrage authentique, qui « sent le vécu ».
De la première à la dernière page, le lecteur ne voit pas le temps passer. Grâce à un style percutant et des images qui choquent, le livre Bella Ciao Istanbul marquera au fer sa cible. Un cri du cœur qui donne des frissons, disponible aux éditions Most.
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