INFOS ÉDITEUR
Parution aux éditions Belfond en mai 2002 Parution aux éditions Pocket en mars 2004 Traduit par France CAMUS-PICHON Près d’Oxford, au fond des eaux sans vie d’un lac artificiel, deux plongeurs découvrent le corps putréfié d’Helena Warner, étudiante mystérieusement disparue vingt ans auparavant… Pour la police, c’est l’occasion d’interroger à nouveau les trois suspects de jadis. Trois suspects qu’une trouble amitié unissait à la victime, qu’il s’agisse de Richard Wachmann, sculpteur habité d’une passion dévorante pour l’anatomie féminine ; de Joan Pool, qui, mortifiée par les disgrâces de son corps, jalousait la beauté d’Helena-, ou de Ian Gillmore, le petit ami d’Helena, incapable d’expliquer son absence le soir du crime… (Source : Pocket – Pages : 333 – ISBN : 9782266133173 – Prix : .. €) |
L’AVIS DE CATHIE L.
J. Wallis Martin est une poétesse et romancière britannique née en 1956. Elle a étudié le cinéma et l’anglais à l’université Nationale d’Irlande à Galway, mais elle a obtenu son doctorat à l’université de Saint-Andrews, en Ecosse. Après ses études, J. Wallis Martin a suivi son mari en Afrique du sud, à Johannesburg, où elle exerça le métier d’éditrice, notamment pour Hodder and Stoughton. Rentrée à Oxford en 1992, elle commence à écrire des romans policiers, à ce jour au nombre de quatre traduits en français : Le Poids du silence (The Long Close Call, 2000) ; Descente en eaux troubles (A Likeness in Stone, 1997) ; Le Goût des oiseaux (The Bird Yard, 1998) ; La Morsure du mal (Dancing with the Uninvited Guest, 2002). Elle vit actuellement dans le Dorset.
Le roman
Descente en eaux troubles, A Likeness in Stone en version originale éditée en 1997 en Angleterre, a été publié en 2002 par les éditions Belfond et a été finaliste du Edgar Allan Poe Award, distinction décernée chaque année par l’association Mistery Writers of America, regroupant des auteurs de romans policiers américains, afin de récompenser les auteurs des meilleurs œuvres policières de l’année passée.
Le style: dans ce thriller, J.W. Martin fait preuve d’une réelle intelligence de l’écriture dans une intrigue psychologique doublée d’une intrigue policière, mise en scène de façon subtile, par petites touches habilement posées ici et là, évoquant le thème des conséquences de l’irruption dans le présent de lourds secrets qu’on pensait enfouis à jamais, ainsi que la douleur de voir ses rêves de jeunesse se briser sur un quotidien fait de médiocrité et de déceptions. L’habile construction du roman où le passé se superpose souvent au présent, notamment dans les souvenirs de Joan : « Avec le recul, évidemment, Joan se rendait compte que les lettres d’Héléna avaient joué le même rôle que ces romans de gare qui entraînent leurs lectrices dans un monde imaginaire, où chacune d’elle se prend pour l’héroïne…Tout en se demandant comment Ian prendrait la découverte du cadavre, Joan regarda la fin de l’article en dernière page du journal. » (Page 74), ou par l’irruption inattendue de scènes du passé dans le présent, semant la confusion dans l’esprit du lecteur, confusion propre à créer une sensation de suspense, le lecteur se demandant quelle est le degré d’implication de chacun et quelles seront les conséquences sur leur vie actuelle : « Joan marchait tête baissée, les mains dans les poches de son duffle-coat. Si Gilmore l’avait suivie jusque-là, s’il arrêtait sa voiture et la forçait à monter, il n’y aurait pas de témoin. Son seul espoir était de ne pas tomber sur lui avant d’arriver chez sa sœur Cathy. » (Page 169)… « Les informations qu’elle fournirait ne suffiraient pas pour que la police ferme les yeux sur son implication dans la mort d’Héléna ni sur le silence qu’elle avait gardé pendant vingt ans. » (Page 168).
L’intrigue
Lors d’une descente dans les eaux du lac artificiel de Marshfield, près d’Oxford, deux plongeurs découvrent un cadavre enfermé dans une armoire d’une ancienne ferme engloutie par les eaux. Il s’agirait du corps d’Héléna Warner, une jeune étudiante disparue vingt ans plus tôt au cours d’une soirée. A l’époque, et malgré les apparences d’une fugue, l’inspecteur Driver avait mené l’enquête et avait conclu à un homicide perpétré par un des proches amis de la victime, sans jamais avoir pu le prouver.
Pensant pouvoir enfin revenir sur cette affaire classée par ses supérieurs de l’époque, décision qu’il n’avait jamais « digérée », c’est lui qui aiguille le jeune commissaire Rigby et l’inspecteur Dalton, les actuels enquêteurs, dans cette voie. Il les aide à retrouver les suspects de l’époque: Ian Gilmore, petit ami d’Héléna; Joan Poole, sa meilleure amie; et Richard Wachmann, artiste peintre; ainsi, l’enquête menée vingt ans plus tôt se superpose habilement avec l’enquête actuelle. Mais quand un second corps, lui aussi plongé dans l’eau depuis plusieurs années, est découvert dans une grange abandonnée, l’affaire se corse et prend des allures de règlement de compte.
Pour les amis d’Héléna, c’est comme si l’ancien cauchemar refaisait surface avec le corps de la jeune fille: « Alors qu’il allait faire demi-tour, la tête courbée sous la pluie, il sentit qu’on lui bloquait le passage avec autant d’obstination qu’il en mettait à refouler le passé. Il leva les yeux et son irritation fit place à l’effroi. -Le monde est petit, Ian…Comment ne s’était-il pas douté que Driver risquait d’être là… Il résista à l’envie de s’enfuir, de prendre ses jambes à son cou… Il n’y avait pas de fuite possible… « Je vous aurai, Ian. Peut-être pas aujourd’hui, ni avant plusieurs années…Mais un jour, je vous aurai… » (Page 53).
Dans un jeu du chat et de la souris, l’ancien inspecteur Driver, opiniâtre telle une Nemesis vengeresse, traque la vérité, prêt à tout pour prouver qu’il avait raison, ne se gênant pour reprendre les interrogatoires, notamment celui de Joan qu’il a toujours soupçonnée d’en savoir bien plus que ce qu’elle avait révélé à l’époque :
« J’étais très heureuse pour elle. Un long silence suivit, qui apprit sûrement à Driver tout ce qu’il voulait savoir. Il continua de soutire:-Vous étiez très heureuse…Quelle magnanimité… J’imagine qu’Héléna l’était aussi pour vous. -Evidemment. » (Page 64)…
« J’ai enquêté sur un certain nombre de disparitions, déclara-t-il, toujours avec le sourire. Et je peux me vanter de savoir, disons par instinct, si la personne disparue a fait une fugue…ou si elle a été victime d’un meurtre…Joan acquiesçant, Driver continua: -En revanche, si je pense qu’il s’agit d’un meurtre, je remue ciel et terre. -Pour Héléna, vous pensez qu’il s’agit de quoi? -A vous de me le dire. » (Page 65).
Les personnages
Descente en eaux troubles présente une galerie de personnages très réalistes, ni caricaturaux, ni parfaits, ni particulièrement mauvais, juste des individus lambda vivant des vies ordinaires dans des quartiers ordinaires, qui un jour se trouvent impliqués dans une trouble affaire de meurtre.
- Driver : inspecteur de police à la retraite, jadis chargé de l’enquête sur la disparition d’Héléna ; est rentré dans la police tout de suite après l’école.
- Rigby : commissaire chargé de l’enquête actuelle.
- Dalton : inspecteur travaillant avec le commissaire Rigby.
- Helena : jeune fille disparue vingt ans plus tôt ; petite amie de Ian Gilmore ; belle et brillante, étudiante à Oxford au moment de sa disparition.
- Ian Gilmore : petit ami d’Héléna.
- Joan Poole : meilleure amie d’Héléna, jeune fille médiocre, ingrate physiquement ; aujourd’hui son visage rond s’est épaissi, ses paupières plissées se cachent derrière des lunettes aux verres épais ; tout ce qu’elle a entrepris dans sa vie, les objectifs comme les moyens pour y parvenir, s’est toujours soldé par des échecs, preuve la vie médiocre qu’elle mène das un appartement pauvrement meublé, dans un quartier peu reluisant. A toujours nourri un complexe d’infériorité envers Héléna, complexe qui ne s’est guère atténué avec les années, renforçant le fort sentiment de faillite qu’elle ressent quand elle considère ce qu’est sa vie : « Si Héléna avait été vivante, elle aurait certainement eu un appartement merveilleux, un emploi merveilleux, un mari merveilleux. » (Page 61).
- Richard Wachmann : ami de Ian, artiste peintre passionné par les nus féminins.
- Cathy : soeur de Joan, mariée, mère de trois enfants, vivant dans un pavillon d’un quartier modeste, incarnant tout ce à quoi Joan a toujours voulu échapper ans jamais y parvenir.
Les lieux
La mise en scène des lieux est habilement orchestrée de façon à intégrer les thèmes à l’intrigue dans le but de lui donner une résonance particulièrement crédible. La description du petit pavillon où vit Cathy, la sœur de Joan, illustre la banalité de cette vie qu’elle ne voulait à aucun prix, incarnant pour elle la ruine de ses espérances :
« La petite maison de trois pièces était située dans une rue en courbe. Elle avait meilleure apparence que les logements sociaux qui lui faisaient face, de l’autre côté du pont, mais si on y regardait de près, cette impression se dissipait en partie (…) Elle inspecta la cuisine du regard, s’attardant sur le motif incroyablement kitsch du carrelage. Une vague odeur de poisson frit flottait encore dans l’air. Pendant des années, Joan avait méprisé ce genre de décor. Pourtant, la pièce était propre et claire. Dans la journée, on apercevait depuis la fenêtre une pelouse sur laquelle était disposé du mobilier de jardin et qu’entourait une haie assez haute pour dissimuler les maisons voisines. » (Page 170-171).
Le passé resurgit pour troubler le présent :
« Il s’avança jusqu’au périmètre de sécurité, et revit les lieux tels qu’ils les avaient connus. A l’époque,une large rivière peu profonde coulait là, et débordait périodiquement -comme une canette qu’on aurait renversée-, rendant une grande partie des champs inexploitables. C’était d’ailleurs leur caractère marécageux qui avait fait de ces terres un sanctuaire pour les plantes et les oiseaux, parmi lesquels beaucoup d’espèces rares. » (Page 52).
L’ambiance
L’environnement dans lequel évoluent les personnages, ceux du passé comme ceux du présent, n’a rien de vraiment lugubre en soi. Pourtant, l’omniprésence de l’eau stagnante et des marais atteste « la sensation qu’un souffle froid comme la mort s’en échappait… » (Page 89). Le climat renforçant cette impression d’évoluer dans un univers glauque, malsain, propre à créer une tension dramatique accrue : « La pluie glaciale avait redoublé d’intensité, chaque goutte était comme un coup d’ongle sur son visage. La rue semblait déserte. Les gens avaient dû rentrer chez eux, chassés par la nuit et le mauvais temps. » (Page 169).
Mon avis
Descente en eaux troubles ne raconte pas seulement une histoire de meurtre. Il propose également un tableau de l’Angleterre moderne, une peinture de la société très réaliste, permettant au lecteur de s’impliquer dans sa lecture, de se mettre à la place de ses personnages qui pourraient facilement être un voisin ou lui-même. Sa puissance d’évocation donne toute sa force au roman. L’interaction entre les différents personnages, que ce soit dans le passé ou dans le présent, amplifie son réalisme, car toute la crédibilité du roman repose sur cet édifice savamment conçu : « Elle n’avait pas d’autre moyen pour tenter de savoir sans risque comment allait Ian, comment il réagissait, et s’il n’était pas entrain de craquer sous la pression. » (Page 72).
J.W. Martin excelle à manier sa plume de manière à manipuler son lecteur, de l’emmener là où elle veut, sur telle ou telle piste, n’hésitant à l’égarer dans des impasses, à formuler des hypothèses non fondées en soupçonnant des personnes probablement innocentes :
« Malgré son air dégoûté, Driver ne s’était pas déplacé pour lui faire la morale ou lui donner des conseils : il venait l’informer qu’il la soupçonnait d’en savoir plus long qu’elle ne le prétendait sur la disparition d’Héléna » (Page 63)…
« L’article disait que la police n’avait toujours pas établi avec certitude l’identité du cadavre. Joan aurait pu faciliter grandement la tâche des enquêteurs en les contactant pour leur donner le nom d’Héléna, mais ils auraient voulu savoir d’où elle le tenait, et il lui aurait fallu s’expliquer. » (Page 62).
J. Wallis Martin distille les indices à petites doses, mêlant les bons aux mauvais, laissant le lecteur se débrouiller, tourner les pages une à une jusqu’à la dernière afin de savoir si l’hypothèse qu’il a formulée était la bonne. Certes, Descente en eaux troubles est un roman très sombre mais jamais il ne franchit la limite de l’insupportable car toute la subtilité de l’auteur est là : créer une ambiance pesante, raconter une histoire sordide tout en maintenant le lecteur en haleine tout du long, sans jamais aucune fausse note ni moment d’ennui. C’est du grand art que nous propose ici J.W. Martin, à mon sens une digne représentante du polar britannique.
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