Jean-Marc Pitte est grand reporter à la rédaction nationale de France 3. Il a été envoyé spécial à New York après le 11 septembre 2001, ainsi qu’en Bosnie, Irak, Afghanistan, Liban, Israël…
Sébastien MOUSSE : Bonjour Jean-Marc, tout d’abord, je te remercie de m’accorder un peu de ton temps. Comment un grand reporter, qui est là pour témoigner de la réalité décide un jour de faire de la fiction ?
Jean-Marc PITTE : Je me l’étais toujours interdit parce que j’estime, en tant que lecteur de romans, qu’il y a une grande différence de qualité entre ceux qu’écrivent leurs auteurs pour se faire plaisir et ceux qui sont écrits sous le sceau d’une absolue nécessité. Je n’avais donc jamais écrit une ligne de fiction. Et puis un jour, un fait divers m’a perturbé par le contraste qui existait entre les crimes commis et la « normalité » de leur auteur, du milieu dans lequel tout cela s’était passé. J’ai enquêté, j’ai voulu recueillir le témoignage du jeune parricide afin de concevoir un essai. Mais l’administration pénitentiaire a tout fait pour le décourager de témoigner. J’ai perdu le contact. Mais l’histoire ne me lâchait pas. J’ai décidé d’en faire un roman, d’écrire à la première personne comme si j’étais dans sa tête. Ca a donné « Gueule d’ange ». J’avais ressenti l’impérieux besoin de me lancer.
SM : Outre la grande connaissance géopolitique d’Haïti, on ressent, à travers les passages du livre s’y déroulant que tu aimes vraiment le lieu, pourtant il n’est pas des plus calmes…
J-MP : Non, c’est vrai mais ça n’en est pas moins un pays magique. Il est doté d’une histoire à nulle autre pareille. En 1804, une armée d’esclaves révoltés alliés à des mulâtres affranchis sont parvenus à vaincre un détachement de l’armée napoléonienne et à arracher son indépendance. Haïti est la première république noire à y être parvenu. Depuis, le besoin de reconnaissance internationale l’a poussée à payer une dette (le remboursement des colons « spoliés » et du Royaume de France) qui n’a été soldée…que sous François Mitterrand. Les soubresauts politiques n’ont jamais cessé. Mais la culture de ce pays est d’une richesse stupéfiante : elle est dotée d’écrivains, de musiciens et de peintres magnifiques. Et tout son peuple voue un culte rare à l’éducation. J’adore Haïti. C’est un peu mon deuxième pays.
SM : Le livre est écrit très souvent à la première personne, ce qui est déjà un exercice pas des plus faciles, mais en plus, le JE est une femme, je ne demanderai pas si c’est par fantasme, mais pourquoi cette écriture à la première personne du singulier pour un écrivain alors que l’héroïne est féminine ? Un défi ?
J-MP : Non, un plaisir. Usurpation n’est que mon deuxième roman et je n’en suis toujours pas revenu de ce pouvoir exceptionnel que nous accorde l’écriture fictionnelle : être un autre. Tant qu’à faire, autant que cet autre soit très différent. Mais c’est aussi parce que la compagnie des femmes me plaît beaucoup plus que celle des hommes. Elles m’ont beaucoup parlé et cela ne m’a semblé ni difficile, ni incongru, de me glisser dans les peaux de deux d’entre elles. Ce sont mes usurpations à moi.
SM : Usurpation est ton deuxième roman, si j’ai bien compris, tu as pris goût à l’écriture autre que journalistique, tu devrais même faire un Embaumeur, le virus est là ?
Oui. Il paraît qu’il n’y a que le premier pas qui coûte. J’ai senti que je ne pourrais plus me défaire désormais de cette envie d’écrire de la fiction. Les sensations éprouvées sont intenses, surtout quand les lecteurs donnent des signes de satisfaction.
SM : Si l’on devait écouter une musique, un album avec ton livre, ce serait quoi ?
J-MP : Un album de Boukman Eksperyans, un groupe de musique « racines » haïtiens, qui contient la chanson Pwazon rat.
SM : Et si tu devais faire lire ton roman à un personnage, fictif ou réel, mort ou vivant, qui serait-il et pourquoi ?
J-MP : Ce serait à Nicole et Jean-Pierre, mes parents, parce qu’ils sont morts prématurément sans avoir pu me lire.
SM : Usurpation est en librairie, sur la voie du succès, le prochain est en cours d’écriture ?
J-MP : Le prochain livre ne sera pas un roman mais le récit d’un policier à qui je prête mon oreille et ma plume.
SM : Jean-Marc, je te remercie, et au plaisir.
Paru dans Résonance Funéraire
Retrouvez la chronique de son livre ici : Usurpation
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