Interview de l’auteur Jacques SAUSSEY

Jacques SausseyJacques SAUSSEY à 50 ans. Cadre technique dans une grande entreprise internationale. Père de 2 enfants. Il écrit dans le train, pendant ses quatre heures de transport quotidiennes.

Jérôme PEUGNEZ : Pouvez-vous me décrire en quelques mots votre parcours ?

Jacques SAUSSEY : J’aurai cinquante ans dans trois mois, et je suis ouvrier dans une grosse société de métallurgie, où je dirige depuis peu une petite équipe de cinq personnes pour la conception de pièces en CAO-DAO pour l’usinage et la fonderie.

Mes collègues de travail, du plus jeune apprenti jusqu’à la direction, m’apportent d’ailleurs un soutien moral précieux depuis que je me suis lancé dans l’écriture de mon premier roman, en 2007.

Je travaille à Paris mais je vis dans l’Yonne, entre bois et champs.

Après un peu plus d’une trentaine de nouvelles, dont deux ont été primées dans des concours (« Quelques petites taches de sang » en 2002 aux Noires de Pau, et « Alfred Jarry est mort » en 2007) et une éditée en BD (« Le joyau du Pacifique », en 2007), je me suis lancé dans mon premier thriller juste après le succès de ma petite pièce de théâtre au concours Alfred Jarry. L’écriture d’un roman me faisait envie depuis longtemps. Jarry a été le déclic qu’il me fallait.

JP : Comment vous est venue l’envie d’écrire ? À quelle période ?

JS : J’avais 27 ans lorsque l’envie d’écrire est arrivée à l’improviste, un jour dans le métro. Je m’ennuyais ferme sur ma ligne, et j’ai eu l’idée d’une histoire un peu macabre, qui a abouti à ma première nouvelle : Mauvaise rencontre.

Il s’agissait de décrire la descente aux enfers d’un jeune homme, fils d’une mère alcoolique, et d’un père disparu lorsqu’il était petit. Le garçon se lie avec quelques autres jeunes peu recommandables, et un soir, après une scène violente qui tourne mal pour le groupe, il défoule sa haine du monde sur un clochard rencontré au hasard de son errance nocturne.

Seulement, ce qu’il ne sait pas, c’est qu’il vient de faire une mauvaise rencontre

Je me suis plongé dans cette petite histoire avec passion, essayant de rendre réels des personnages qui avaient de prime abord le double défaut d’être à la fois plats et un peu trop caricaturaux. Pour tout dire, ils se refusaient à moi.

Lorsque j’en suis venu à bout, je me suis dit que ce devait être vraiment formidable de pouvoir écrire un vrai livre. J’entrevoyais la montagne à gravir, mais pas les sentiers qui pouvaient mener aux sommets. J’ai alors continué à écrire des nouvelles, toujours dans le domaine du noir, car c’est ce que j’aime lire depuis toujours. Le format du texte court me convenait bien, et j’y ai notamment pris goût aux scènes d’action rapides nécessairement explosives.

JP : Quel est votre « modus operandi » d’écriture ? (Votre rythme de travail ? Connaissez-vous déjà la fin du livre au départ ou laissez-vous évoluer vos personnages ? )

JS : J’ai établi un cycle précis d’écriture dicté par les nécessités des transports en commun. Sur quatre heures de voyage quotidiennes, j’en consacre deux passées dans le train à écrire, ainsi qu’une heure environ le soir, une fois rentré dans ma campagne. Parfois beaucoup plus le matin, le week-end, lorsque la maison est encore endormie. J’affectionne particulièrement cette période matinale sans limites réelle, qui me permet de me lâcher complètement sur une scène.

Lorsque je démarre un roman, j’en ai déjà tracé les grandes lignes, le squelette, et je l’ai plus ou moins divisé en « zones », plus qu’en chapitres établis et figés. Les personnages m’ont souvent imposé un choix différent d’articulation de l’histoire que celui que j’avais prévu auparavant. Quand un caractère refuse une scène, c’est qu’elle n’est pas adaptée, ou que l’optique est mal choisie. À moi, alors, d’écouter ce qu’il essaie de me dire. Si je passe outre, j’ai souvent remarqué que je dois en payer les conséquences à un moment ou un autre dans le récit.

Le fait d’avoir accompagné ces personnages tout au long de trois thrillers, à présent, m’a également permis de mieux les connaître, de mieux appréhender ce qui peut advenir dans telle ou telle situation.

Parfois, lorsque j’ai les mains en attente au-dessus du clavier, j’ai même la sensation que Lisa va se tourner vers moi, l’œil furieux, et me lancer d’un ton sec :

  • Bon, alors ça vient, oui?

Elle est un peu soupe au lait, il faut dire…

JP : Il y a-t-il des personnages qui existent vraiment, dont vous vous êtes inspiré ?

JS : Le personnage de mon beau-père, et ses souvenirs d’enfance, en Bretagne, durant la Seconde Guerre mondiale, ont été déterminants lors de l’écriture de « De sinistre mémoire ». Tout ce qu’il a vécu à cette époque, entre l’occupation allemande et la soif de survivre, était du matériau de choix pour bâtir une histoire. C’est lui qui m’a inspiré le passé et le physique du personnage de Georgie Calut, dont il est cependant fort éloigné.

L’écluse où il est né, et que j’ai choisie comme couverture du roman, vu l’importance de la scène qui s’y déroule, était propice au décor dur dont j’avais besoin pour implanter le nœud de mon intrigue.

En revanche, considérant ce que les exactions des miliciens avaient pu laisser comme souvenirs brûlants dans la mémoire collective de la région d’Hennebont, Morbihan, notamment lors des bombardements d’aout 1944, j’ai choisi de créer un décor de toutes pièces pour un chapitre particulièrement violent, auquel je ne souhaitais pas que quiconque puisse s’identifier à la suite d’une mauvaise coïncidence.

JP : Le parcours a-t-il été long et difficile entre l’écriture de votre livre et sa parution ?

Jacques SAUSSEY - sinistre memoire
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JS : J’ai écrit « De sinistre mémoire » entre janvier et aout 2009, et il a été accepté par les éditions des Nouveaux Auteurs en mars 2010, donc je ne peux pas dire que j’ai attendu bien longtemps. Je ne l’avais d’ailleurs présenté à aucun autre éditeur auparavant, contrairement à mon premier polar « La mante sauvage », écrit entre janvier 2007 et aout 2008. « La mante » a essuyé la même lettre bateau que tous les éditeurs semblent avoir sous la main pour refuser un manuscrit qu’ils n’ont parfois même pas ouvert. J’en veux pour preuve tel éditeur parisien auquel j’ai déposé « La mante sauvage » le vendredi soir et qui me l’a renvoyé à peine trois jours plus tard par La Poste, trajet compris…

C’est d’ailleurs à la suite d’une énième lettre de refus pour « La mante sauvage » que je me suis dirigé sur Internet, à la recherche d’une autre solution. Je suis alors tombé sur le site des Nouveaux Auteurs, le jour même de la clôture du concours Femme Actuelle 2010. J’ai immédiatement envoyé le fichier de « La mante sauvage », mais « De sinistre mémoire » nécessitait encore quelques corrections qui n’étaient pas achevées. Je n’ai envoyé ce roman qu’en février, bien après la clôture des inscriptions à ce concours.

C’est la raison pour laquelle il n’y a pas participé, et a été évalué en dehors du circuit des prix organisés par les Nouveaux Auteurs.

JP : Avez-vous reçu des remarques surprenantes, marquantes de la part de lecteurs ?

JS : L’une de celles qui m’ont le plus fait réfléchir est provenue d’une personne que je n’ai jamais rencontrée, et qui était en fait mon « premier lecteur inconnu » de mon premier polar. Cette personne n’avait aucune raison de me faire le moindre cadeau, et j’ai pris sa critique comme une véritable baffe sur le coin de la figure. J’ai alors fait beaucoup plus attention à ce que mes connaissances me disaient en pointillé, et j’ai cessé de me regarder le nombril en écoutant leurs compliments.

J’ai attaqué « De sinistre mémoire » en gardant ces remarques bien présentes à l’esprit, et je crois que cela m’a aidé à nettoyer mon texte de ce qui l’encombrait, et que je ne discernais pas encore suffisamment.

Par la suite, j’ai pris connaissance de tous les avis de mes lecteurs-évaluateurs des Nouveaux Auteurs, et j’ai décidé de remettre toute mon intrigue à plat lorsque j’en aurai le temps. À cette période-là, j’étais en train d’écrire mon troisième thriller, « Quatre racines blanches », et j’en ai profité pour épurer mon texte dans cette optique.

JP : Avez-vous d’autres passions en dehors de l’écriture (Musique, peinture, cinéma…) À part votre métier, votre carrière d’écrivain, avez-vous une autre facette cachée ?

JS : Je pratique le tir à l’arc depuis bientôt une trentaine d’années, et c’est la première discipline dans laquelle j’ai trouvé mon équilibre, au début de mon âge adulte. Je fais souvent le parallèle entre le tir à l’arc et l’écriture, car ce sont deux disciplines solitaires, où le résultat n’est rien d’autre que l’harmonie intérieure que l’on parvient à atteindre ou pas, dans un cas sur une cible, dans l’autre sur le papier.

La cible, comme l’intrigue, n’est pas un ennemi à vaincre, une barrière à franchir. Elle n’est que le reflet de soi-même.

La flèche et la plume vont plutôt bien ensemble, d’ailleurs…

C’est d’ailleurs en cherchant une idée pour bâtir mon premier roman, un jour où je m’entrainais à l’extérieur, que j’ai eu l’idée d’utiliser mon arme favorite dans « La mante sauvage ». Toute l’intrigue s’est alors calée assez rapidement.

J’adore l’harmonica depuis l’enfance, et je joue principalement seul dans ma voiture pour épargner les oreilles de ma femme.

J’aime le blues. Le blues Noir de la terre, celui de Little Walter, de Sonny Terry et Brownie Mc Ghee, mais aussi le blues Blanc de Clapton, de Stevie Ray Vaughan ou de Robben Ford.

J’aime également le jazz, celui de Coltrane ou de Monk, et le rock de Deep Purple et de Led Zep.

Et puis, par-dessus tout, les Floyd…

Toutes ces musiques me servent d’ailleurs souvent, selon l’ambiance que je cherche à créer, à m’isoler dans le train lorsqu’il y a du bruit autour de moi.

JP : Quels sont vos projets ?

JS : Je retravaille en ce moment mon premier roman, « La mante sauvage », de fond en comble, et je n’attaquerai mon cinquième récit qu’une fois ce remaniement terminé. Il me reste quelques scènes à finaliser dans « Quatre racines blanches », mais cela ne me prendra pas trop de temps. C’est la raison pour laquelle je ne l’ai pas encore mis en évaluation sur le site des Nouveaux Auteurs. En revanche, « Principes mortels », mon quatrième roman, qui n’est pas un thriller, mais un drame, est en compétition pour un prix en 2011. Je préfère ne pas trop en parler pour l’instant, mais je fonde des espoirs différents sur ce livre, qui me tient particulièrement à cœur, car j’en ai écrit la trame il y dix-sept ans déjà…

JP : Quels sont vos coups de cœur littéraires ?

JS : Mes auteurs préférés, dans le domaine du thriller, sont :

Chez les Français, Frédéric Dard, Boileau-Narcejac, Franck Thilliez, et Grangé.

Chez mes camarades des Nouveaux Auteurs, principalement Claire Favan, dont « Le tueur intime » est littéralement terrifiant, David Moitet, Jean Depreux et Simone Gélin. Cela dit, il y en a encore beaucoup que je n’ai pas lus.

Chez les étrangers, j’ai une nette préférence actuelle pour Dennis Lehane, Tom Rob Smith, les vieux Stephen King, R.J Ellory, et Craig Johnson, dont l’humour omniprésent est un vrai régal.

JP : Avez-vous un site internet ou un blog où vos lecteurs peuvent laisser des messages ?

JS : Mon site Internet, http://www.jacques-saussey-auteur.com/ comprend, en dehors de quelques extraits de mes romans, un livre d’or où tout lecteur peut me laisser une critique.

J’y ai également rattaché un blog, http://jacques-saussey.over-blog.com/ plus léger à maintenir à jour, notamment pour mes dates de dédicaces qui changent régulièrement.

Sur chaque article de ce blog, les lecteurs peuvent également intervenir librement, ou presque…

Merci à Jacques SAUSSEY de nous avoir accordé cette interview.


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Jérome PEUGNEZ
Jérome PEUGNEZ
Co-fondateur de Zonelivre.fr. Il est le rédacteur en chef et le webmaster du site.

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