Rencontre avec Elsa Roch à l’occasion de la sortie de ses romans « Ce que dit la nuit » aux éditions Livre de Poche et « Oublier nos promesses » aux éditions Calmann Levy en février 2018
Sophie PEUGNEZ : Elsa Roch, avant de découvrir vos romans, pouvez-nous dire quelques mots sur votre parcours professionnel ? Qu’est-ce qui vous a donné envie d’être psy ?
ER : Ma vocation de psy vient de mes premières années d’adolescente, lorsque j’ai fait une rencontre qui allait changer ma vie, celle d’une petite fille autiste de trois ans, prénommée Elsa ( !) dont je me suis très vite occupée pendant mon temps libre.
SP : Qu’est ce qui vous a donné l’envie d’écrire votre premier roman « Ce qui se dit la nuit » ?
ER : L’envie de commencer à explorer les failles et les blessures de notre époque, à travers les yeux de mon héros, Marsac…
SP : Pour vous, qu’est-ce qui est le violent à lire : un roman sur un tueur en série dont la probabilité est très mince de le croiser ou l’un de vos personnages dans le quotidien ?
ER : La réponse est presque contenue dans votre question, Sophie. Je crois que le plus violent reste le monstre insoupçonné, croisé au quotidien, Monsieur Tout le monde, qui semble si doux, si inoffensif et qui peut se révéler le plus cruel des personnages !
SP : Les différences sociales et son impact sur la famille, est-ce un thème qui vous stimule ?
ER : « Les liens du sang font jamais tout et parfois c’est de la grosse foutaise » p71. Extrait de Ce qui se dit la nuit. Vous le pensez vraiment ?
Hélas oui. La famille telle que nous la vivons au quotidien ne ressemble que très peu à la famille idéale mise en scène dans les publicités. Tout le monde le sait, que derrières les portes familiales se jouent des drames parmi les plus sombres.
SP : L’amour maternel mythe ou réalité ?
ER : Il y en a qui ont soutenu des thèses sur ce sujet ! Pour aller à l’essentiel disons que depuis Elisabeth Badinter (« l’amour en plus ») nous savons qu’il s’agit vraiment d’un comportement social variable selon les époques. Plutôt mythe donc.
SP : Le thème de l’absent est très important dans votre œuvre, Marsac a du mal à vivre sans sa sœur Solène. Lorsque les absents prennent plus de place que le présent. Devoir se lever, mettre un pied devant l’autre malgré la douleur de la perte (ou l’absence de réponse), avec un être cher disparu qui est comme un membre fantôme. La douleur peut s’amplifier tout à coup, tout occulter alors que lorsqu’on regarde, il n’y a que le vide. Etre mutilé d’une partie de soi-même alors que c’est parfaitement invisible aux yeux des autres. Est ce que ce syndrome de membre fantôme existe vraiment ?
ER : Oui, ce syndrome de membre fantôme existe vraiment, et c’est ainsi que l’on peut voir des patients amputés continuer à ressentir par exemple des démangeaisons alors même que le membre mis en cause n’existe plus.
Ce n’est pas tout à fait la « pathologie » de Marsac. Marsac souffre de la disparition de sa petite sœur, sans doute aussi d’un sentiment de culpabilité (il était là, sur cette plage lorsqu’elle a disparu…), et surtout de ne pas savoir si Solène est morte ou toujours en vie, quelque part… Cette incertitude je crois l’empêche de faire son deuil.
SP : Est-ce que vous avez décidé de vous mettre des barrières, de ne pas explorer certains sujets pour ne pas heurter vos lecteurs ?
ER : J’explorerai tous les sujets qui me tiennent à cœur, mais je veillerai à ne jamais blesser.
SP : Sans entrer dans votre intimité, vos propres familles ont-elles acceptés ou est-ce que des proches ou des amis se sont reconnus alors que ce n’était pas votre intension ?
ER : J’ai une règle : je n’écris ni ma vie ni celle de mes proches, ou alors ce ne sont que de toutes petites touches, toujours positives, comme des clins d’œil. Le prénom d’un enfant glissé, des choses comme ça, légères et bienveillantes.
SP : Comment gérer le thème de la maladie sans sombrer dans le pathos ? Et comment trouver les bons mots lorsqu’on parle du handicap, je pense notamment à Manon ?
ER : Manon est une jeune femme tellement formidable, tellement lumineuse, d’ailleurs les lecteurs l’ont vraiment aimée, certains ont même regretté de ne pas la voir plus souvent dans l’histoire, que je ne pense pas que quiconque ressente du pathos en pensant à elle ! Manon, qui voit le monde à travers des yeux d’enfant, possède cette fraîcheur qui fait vibrer.
SP : La trahison doit-elle engendrer la mort ?
ER : Dans mes romans en tout cas ça se passe plutôt mal pour ceux qui trahissent…
SP : Lorsqu’on utilise le thème de la famille qui concerne plus souvent les « one-shot » Comment procède-t-on pour faire plusieurs romans avec les mêmes personnages sans perdre le souffle des intrigues ?
ER : Déjà je suis passée du polar rural au polar urbain. Ensuite, tant que j’éprouverai cette envie d’observer le monde et ses failles à travers ma brigade hétéroclite, tout se passera bien. Enfin je l’espère ! Je ne suis pas encore lassée de mes personnages, et je souhaite les aimer encore longtemps. Vraiment. J’adore Marsac.
SP : Marsac est un personnage très attachant, est-ce qu’il est déjà en train de vivre de nouvelles aventures dans un coin de votre tête ou avez-vous envie d’en créer de nouveaux ?
ER : Ah, merci de trouver Marsac attachant ! Oui, je suis en train d’écrire un nouvel opus, avec lui. Il sera cette fois aux prises avec d’autres horreurs et un personnage secondaire que j’adore… Mais chut…
SP : Son assistant Raimbauld a un nom qui nous évoque la littérature, il y a également de nombreuses touches subtiles dans vos textes qui donnent envie de redécouvrir des classiques. C’est important pour vous la transmission ?
ER : Homonymie phonétique avec Arthur Rimbaud parce que la poésie a été importante dans ma vie. Et oui, la transmission, j’y tiens. Faire partager ce que l’on a tant aimé est l’une des plus belles choses, non ?
SP : Un prénom de personnage qui peut surprendre le lecteur, celui d’Elsa car c’est aussi le vôtre. Pouvez-vous expliquer ce choix ?
ER : Ah oui, je peux comprendre la surprise du lecteur, mais la raison de ce choix la voilà : j’écris depuis très longtemps et je me suis toujours promis que si j’étais publiée un jour il y aurait toujours une Elsa dans mes romans, en hommage à la petite fille dont je me suis tant occupée, et qui se prénommait… Elsa…
SP : Marsac a une dimension mythologie, quelle est l’importance des mythologies dans votre imaginaire ?
ER : Alors là Sophie, je ne sais que répondre, je ne vois pas de quelle dimension vous parlez. Ce que je peux vous dire, c’est que les mythes sont toujours fondateurs pour les littéraires. Et j’en suis !
SP : Votre premier roman ouvre sur une scène liée aux camps de concentration. Est-ce important à vos yeux le devoir de mémoire ?
ER : Oui, tout à fait. N’oublions jamais les visages de la barbarie. Témoignons, transmettons ce que nous savons aux jeunes générations.
SP : Dans « Oublier nos promesses » le soldat Jérôme Pieaud est revenu traumatisé d’Afghanistan. Pensez-vous que l’on puisse guérir de ce type de blessures ?
ER : Bien sûr. Il faudra juste du temps, beaucoup de temps, et les bonnes rencontres.
L’armée par exemple sait prendre en charge, par le biais de différentes structures de soin, ses militaires blessés. Mais ce n’est pas la seule, et je pense notamment à mon expert sur ce roman, qui, jeune retraité de l’armée, continue en tant que psy à accueillir ses confrères qui en font la demande.
SP : C’est une journaliste qui est allée au bout de ses convictions qui s’est faite assassinée, aviez-vous envie de rendre hommage à ceux qui veulent faire éclater la vérité à tout prix ?
ER : Je souhaitais écrire un roman sur les violences faites aux femmes et il est vrai que certaines journalistes féminines forcent mon admiration. Leur courage semble quasi héroïque au regard des risques, vitaux, parfois encourus.
SP : Votre dernier roman parle de la traite des êtres humains, est-ce que vous aviez envie de pousser une sorte de cri d’alerte ?
ER : Un cri d’alerte je ne sais pas. Braquer les lumières sur tout un monde que l’on s’acharne à ne pas voir, oui. Quelle tristesse, quel drame, que la vie de ces jeunes filles…
SP : Deux univers complètement différents entre « Ce qui se dit la nuit » et « Oublier nos promesses » : rural versus la ville. Il y a des lieux que vous préférez ou est-ce justement stimulant de tous les explorer ?
ER : J’irai là où ira Marsac ! J’ai envie de tout.
SP : Si vous aviez la possibilité de mettre une bande son avec vos romans, ça serait quels artistes ?
ER : Pour Ce qui se dit la nuit j’ai écouté en boucle Philippe Léotard. Pour Oublier nos promesses, changement de registre avec les Doors, notamment The End…
SP : Merci à vous Elsa Roch
ER : Merci Sophie ☺
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Je remercie toute l’équipe pour la qualité de son travail, son amour des livres et des auteurs. Merci merci merci !
Elsa Roch.
Merci beaucoup Elsa Roch. C’est important pour nous de présenter de défendre notamment les auteurs qui nous tiennent à coeur. Et avoir toi c’est une superbe rencontre littéraire et humaine.
Très bel échange. Merci à vous deux <3 De quoi susciter chez les lecteurs (si ce n'est pas déjà fait) l'envie de découvrir ces deux textes et le personnage de Marsac, tellement attachant…
Merci Lucie 🙂
Au plaisir de vous retrouver très vite < 3