Rencontre avec l’auteur Benoît Sévérac, autour de son roman Une caravane en hiver, paru aux éditions Syros en mars 2018.
Jérôme PEUGNEZ : Bonjour Benoît Séverac.
Benoît Séverac : Bonjour.
JP : Comment vous est venu l’envie d’écrire ? A quelle période ?
BS : Tout petit. Les premières traces de travaux rédigés remontent au CM2. Je racontais mes voyages ou mes vacances sur des feuilles que je perforais puis reliais avec de la ficelle après avoir créé une couv’, un titre, et une 4ème en carton sur laquelle je mettais un prix et un résumé du contenu. Mais être écrivain, ça ne passe pas que par l’écriture. De tout temps, encore aujourd’hui, j’ai aimé être celui qui capte l’attention d’un public (à table en famille, en classe, dans une soirée entre amis etc.) en racontant des histoires, quitte à les inventer, qui à enjoliver le réel, quitte à en inventer un. Après tout, la littérature, ce n’est rien de plus : un gros mensonge et l’art de le faire gober à ses lecteurs.
JP : Quelles étaient les lectures de votre enfance ?
BS : Beaucoup de BD. L’approche visuelle a transpiré dans mon écriture aujourd’hui. Beaucoup d’usuels aussi : dictionnaires, encyclopédies, compilations de magazines d’Histoire. J’adorais feuilleter tout ça, je lisais les articles mais je m’attardais longuement sur les photos (l’importance du visuel, toujours).
Et puis L’appel de la forêt de Jack London. Ma première claque à huit ans. Un peu tôt pour le lire, mais comme quoi… On peut le lire à n’importe quel âge, on y trouvera toujours son compte.
JP : Quel est votre « modus operandi » d’écriture ? (Votre rythme de travail ? Connaissez-vous déjà la fin du livre au départ ou laissez vous évoluer vos personnages ?)
BS : J’ai une discipline monacale. J’écris tous les jours, sans exception. J’ai un métier pendant la journée, et un autre (l’écriture) le soir. Je consacre entre 4 et 6 heures à l’écriture tous les jours. Ça peut être multiplié par deux le weekend et en vacances. Je dois avouer qu’il n’y a pas beaucoup de place pour autre chose.
Grosso modo, je connais les grandes lignes de mon récit, sans forcément en arrêter le dénouement. Il peut s’ouvrir en cours d’écriture. J’ai évolué sur ce point : pour mes premiers romans, je bordais tout. Tant que je ne savais pas exactement où j’allais amener chacun de mes personnages, je ne me lançais pas dans le processus d’écriture. J’avais tendance à considérer qu’il y avait une phase cérébrale (de réflexion) avant une phase artisanale (d’écriture). Du coup, je composais des synopsis très détaillés mais qui empêchaient tout acte de création pendant l’écriture ; ce qui m’obligeait systématiquement à réécrire une bonne partie de mon roman parce que je ne l’avais pas enrichi de développements pertinents qui naissent de la liberté de création pendant l’acte d’écriture. Aujourd’hui, je me lance plus vite dans l’écriture et je consacre la phase cérébrale essentiellement à faire naitre les personnages dans ma tête davantage que ce qui va leur arriver, car le second est dicté par les premiers.
JP : Le parcours a t-il été long et difficile entre l’écriture de vos livres et leurs parutions ?
BS : Plusieurs années (6 ou 7) se sont écoulées entre le moment où je me suis dit « je serai publié » et le moment où j’ai signé mon premier contrat d’édition. Mais 30 ans sont passés entre le moment où je me racontais des histoires et celui où je me suis dit « Je serai publié ». C’est un lent processus, et le plus long, chez moi, a été d’en prendre conscience, puis de lui donner toute son importance et donc de m’y consacrer sérieusement, et enfin de l’assumer. On est seul sur ce chemin. Personne ne vous prend par la main en vous disant « Tu es un écrivain, vas-y, fonce ». C’est très présomptueux de penser qu’on va intéresser les autres avec ses histoires ; cela prend du temps pour dépasser cet interdit que l’on s’impose inconsciemment et pour s’affirmer à soi-même comme écrivain.
Ce n’est que récemment que j’ai pris conscience que tout ce que j’avais fait au cours de ma vie m’avait amené à cet état d’écrivain.
JP : Pouvez nous parler de votre roman « Une caravane en hiver » ?
BS : L’envie, le besoin plutôt, d’écrire ce roman est né en 2015-16, quand j’ai été confronté à la façon dont la France et la ville de Toulouse en particulier, a accueilli les Syriens… Ou PAS accueilli, devrais-je dire. A Toulouse, l’office HLM est allé jusqu’à leur faire un procès pour occupation d’un de leurs bâtiments (voué à la destruction) et à leur réclamer un arriéré de loyer d’un an. Le jour où la justice a donné raison à l’office d’HLM et ordonné l’évacuation de 200 Syriens qui fuyaient la guerre ! (dont des vieillards, des enfants et des bébés), j’ai eu honte et j’ai décidé de faire la seule chose que je sache faire : écrire.
JP : Dans votre roman, y a-t-il des personnages qui existent vraiment, dont vous vous êtes inspiré ?
Non, tout est fictif en-dehors du contexte. Je ne décris jamais (ou très rarement) des faits et ne mets jamais en scène des personnages à travers lesquels quiconque pourrait se reconnaitre. Une des grandes jouissances de l’écriture, c’est d’inventer des histoires et d’être seul maître à bord. Raconter des parcours de vie de gens qui existent, c’est un autre métier, très respectable, celui de journaliste. Les buts respectifs du journalisme et de la littérature sont différents.
JP : Avez-vous reçu des remarques surprenantes, marquantes de la part de lecteurs, à propos de vos romans ?
BS : En général, les retours que les lecteurs me font sont très positifs. Peut-être parce que les gens sont globalement bienveillants et polis et que ceux qui ont une opinion négative de mes romans ne la partagent pas avec moi pour éviter de me blesser.
Mais globalement, les mots qui reviennent sont ceux de « sensibilité » et « humanisme ». Franchement, moi, je prends ! C’est très en adéquation avec les rapports que j’essaie d’entretenir avec mes contemporains.
JP : Avez vous d’autres passions en dehors de l’écriture (Musique, peinture, cinéma…) A part votre métier, votre carrière d’écrivain, avez vous une autre facette cachée ?
BS : L’écriture n’est pas une passion pour moi. C’est une obsession, un besoin quasi vital. J’ai des tas de passions (la moto, la gastronomie, le vin, l’Histoire, la photo, le cinéma etc.) mais j’ai l’impression que, quoi que je fasse, c’est toujours censé servir mon activité d’écrivain. Tout est bon pour alimenter mon écriture. C’est ce qui fait de moi quelqu’un qui a eu et continue à avoir des tas de passions dans la vie, des tas d’engagements, de lubies… Ce n’est pas de l’inconstance, c’est une curiosité insatiable.
JP : Avez-vous des projets ?
BS : Des tonnes. Je viens de finir un roman noir/polar adulte qui sortira en janvier 2020 à la Manufacture de Livres, je suis en train d’achever un roman ado, je suis sur le point d’attaquer l’écriture d’un deuxième roman sur les Indiens Osages avec Hervé Jubert suite à une résidence d’écriture dans leur réserve en Oklahoma, j’ai ensuite un projet de roman noir adulte qui m’a amené à voyager en Israël récemment, j’ai un projet d’écriture de scénario de BD en cours, et une pièce de théâtre qui me trotte dans la tête… Bref, ce ne sont pas les idées qui manquent.
JP : Quels sont vos coups de cœur littéraires ?
BS : Récemment, en young adult comme on dit en bon français, j’ai adoré Paris est tout petit de Maïté Bernard. En adulte, j’ai été très impressionné par The bottoms de l’Américain Joe R.Lansdale.
JP : Une bande son pour lire en toute sérénité votre roman « Une caravane en hiver » ? A moins que le silence suffise ?
BS : L’histoire étant celle d’une amitié entre un jeune Français et un réfugié Syrien de son âge, je ne saurais mieux recommander que le poème lu par la poétesse syrienne Maram Al Masri (qui a postfacé mon roman) accompagnée par les musiciens de Shezar. C’est tout simplement magnifique.
JP : Avez-vous un site internet, blog, réseaux sociaux où vos lecteurs peuvent vous laisser des messages ?
BS : https://benoitseverac.com/
JP : Merci Benoît Séverac d’avoir pris le temps de répondre à mes questions.
BS : Merci à vous, et à très bientôt sur le salon de Bloody Fleury ou lors d’une de mes rencontres en médiathèque à Fontaine-Etoupefour ou Evrecy.
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