Un livre captivant dans lequel l’auteur fait monter la tension à petit feu et dissèque la société japonaise : la place des femmes, le culte des morts, la rigidité des rapports hiérarchiques, la pudeur des sentiments…
- Éditions Liana Levi en septembre 2017
- Editions J’ai Lu le 3 octobre 2018
- Traduit par Jacques Lalloz
- Pages : 650
- ISBN : 9782867469510
- Prix : 23,00 €
PRÉSENTATION ÉDITEUR
Une fillette a été enlevée et assassinée à 100 km de Tokyo, en 1989, an 64 du règne de l’empereur Shôwa. Nom de code de l’affaire : Six-quatre. L’inspecteur Mikami faisait partie de l’équipe chargée de la traque mais le ravisseur avait réussi à fuir avec la rançon. Impossible pour lui d’oublier cet échec cuisant, que la récente et mystérieuse disparition de sa propre fille ne fait que rappeler… Presque quatorze ans ont passé, dans le même commissariat, il dirige le service des relations presse. On lui demande d’organiser la couverture médiatique de la visite du grand chef de la Police nationale, destinée à montrer que les recherches continuent. Si les journalistes, en plein bras-de-fer avec les RP, veulent bien se prêter au jeu… Pour organiser la visite, Mikami se rend au domicile du père de la fillette. Ce dernier semble en vouloir à la police. Y aurait-il un loup caché ? Pourquoi les officiers ayant suivi le Six-quatre ont-ils changé de service ou démissionné ? Et que sont ces « Notes Kôda » que le chef du personnel semble à tout prix vouloir retrouver ? Soudain, tout s’accélère : un nouvel enlèvement a lieu…
Yokoyama promène le lecteur à travers les doutes de Mikami, et brosse un tableau de la société japonaise, de la presse et des enjeux d’une information en temps réel.
L’AVIS DE YANNICK P.
Il faut une bonne dose de persévérance. Six-Quatre se mérite. A travers ce roman policier, il s’agit bien de la société japonaise que l’on explore, sa culture, sa société codifiée et hiérarchisée à outrance pour nous occidentaux.
Oui, Six-Quatre avec ses plus de 650 pages coute un peu au lecteur. Des intrigues multiples, une foule de personnages aux noms parfois rudes à mémoriser pour l’occidental que je suis. Oui clairement cette lecture m’a demandé un effort de concentration rarement atteint. Pourtant, Hidéo Yokoyama par une écriture minutieuse dresse un puzzle et tisse une tension oppressante. Avec une grande finesse, il dessine un tableau du Japon en ce début de siècle. (le 21ème)
Six-Quatre commence en l’an 64 du règne de l’empereur Shôwa (Hirohito) avec une affaire d’enlèvement suivie de l’assassinat de Shoko Amamiya, une petite fille de 7 ans. Cette affaire sent le cold case à plein nez. En 2002, quatorze ans après, le coupable court toujours.
Le commissaire Mikami, n’est plus un enquêteur. Il est en charge des relations avec la presse. Il a une semaine pour organiser la visite du directeur général de l’Agence nationale de la police qui veut relancer l’affaire et découvrir l’assassin. Pour se faire, Mikami devra, abattre la défiance du père de Shoko, gérer les journalistes locaux, tout en gérant son couple mis à mal par la disparition de sa fille adolescente. Et petit à petit, Mikami est contraint de réexaminer les dossiers du Six-Quatre et met à jour un certain nombre de zones d’ombre. Il prendra conscience des enjeux dissimulés derrière cette visite, d’autant qu’une nouvelle adolescente vient d’être enlevée avec demande de rançon. L’histoire se répète.
Et voilà, Hidéo Yokoyama, nous plonge dans la société japonaise. Au premier plan, les luttes entre médias et police, mais aussi les rapports de force, la brutalité assumée des supérieurs, celle opposant les brigades judiciaires aux administratifs de la police et bien plus encore. C’est une représentation subtile des codes moraux régissant la vie privée et la professionnelle ainsi que le rôle de la femme dans la société.
Alors oui, il faut encaisser Six-Quatre. Il peut ne se livrer pas facilement. Mais pour ceux qui ont aimé Tokyo Zodiak Murder ou Tokyo Vice, c’est encore une autre vision qui est livrée. Et sans rien dévoiler, le final est …
L’AVIS DE LAURENT FABRE
Au pays du Soleil Levant, le Japon, il est de coutume de s’incliner pour saluer son vis-à-vis, après avoir englouti en 2 jours l’équivalent de presque 700 pages, j’ai envie de faire aussi la révérence pour encenser le roman de Hideo Yokoyama, Six-Quatre, une histoire à vous faire définitivement aimer le polar, genre codifié par excellence s’il en est, pourtant force est de constater ici, plus d’une fois, l’envie de lire en diagonale m’avait effleuré l’esprit mais voilà, qui dit polar atypique dit aussi une lecture qui sort des sentiers battus, comment arriver à captiver le temps de quelques heures, d’arriver à cerner tous les tenants et aboutissants d’une lutte fraticide entre des services de police, à disséquer les rouages d’une administration nipponne loin de se différencier de l’Occident, d’attendre pendant des chapitres un rebondissement qui se laisse désirer, l’histoire est simple dans les faits, un commissaire de police provincial affecté aux relations publiques se voit confier une mission de la plus haute importance, accueillir comme il se doit le grand chef de la police en provenance de la capitale afin de relancer une enquête vieille de quatorze années, le kidnapping d’une fillette de sept ans qui s’est terminé tragiquement … avant la presciption des faits. Sauf que rien ne va se passer comme prévu …
… tant dans le déroulement du récit qui couve les deux semaines précédant l’évènement que l’attente suscitée par un roman policier, si la narration à la troisième personne se focalise uniquement en la personne de Mikami, nouvellement affecté au service de relation avec les journalistes, on apprend rapidement que l’intérêt du roman se situe au-delà du fil rouge symbolisé par le titre éponyme du livre, en référence à la période à laquelle l’enlèvement a eu lieu, cette plaie jamais cicatrisée hante encore tous les protagonistes, qu’ils soient enquêteurs ou proches de la victime, la dimension humaine se dépeint, le poids des secrets et des non-dits, progressivement l’on va voir se décliner des intrigues parallèles, des guerres intestines dévoilant la face cachée d’une bureaucratie oppressante et ultra-hiérarchisée, les masques tombent pour laisser d’autres natures, de celles qui laisse à penser à quel point les apparences peuvent s’avérer trompeuses, le jeu des pouvoirs et des manipulations peuvent alors continuer ou s’amplifier au fil du temps, pour Mikami cette position de l’entre-deux, assurer le pont entre le public qui a le droit de savoir et la police judiciaire, le sentiment de pénétrer au coeur du personnage principal dans tous ses états d’âme, l’auteur n’y est pas allé de main morte, dans sa volonté d’intégrité toute professionnelle, un autre drame est en train de se dessiner, chaque heure compte et la lecture devient alors juste hypnothique, l’ambiance se confond dans l’inégalité propre à toutes les voies de l’organigramme policière, fouler presque au sol les pas, participer aux tractations secrètes comme de découvrir ce qui se trame en pubic, confusion des genres quand tu nous tiens, cette sensation de voir alors l’intéressé se heurter à des murs, à ces langues de bois comme de vipère, trouver la faille en la matérialisation des éléments clés, au risque de bousculer les conventions, au risque de s’y perdre …
Prendre le contre-pied du roman policier est un risque que l’auteur a su déjoué avec maestria, c’était loin d’être gagné d’avance, c’est justement l’audace et la lucidité si bousculé du personnage principal qui apporte cette ambivalence et toute l’essence d’un chaos organisé et propre à toutes les grandes institutions, l’atmosphère périlleuse qui menace de faire tomber toutes les têtes, de précipiter ipso facto des raisons d’être et les responsabilité de chacun, il y va de son devoir de réserve ou de sa position dominante, l’approche psychologique perturbe tout son monde pour révéler les parts d’ombre et la fragilité de l’être humain, une lecture hallucinante par certains passages digne des meilleures tragédies grecques succèdent des plages de réflexions intenses de Mikami, rien n’est jamais trop intriguant dans Six-Quatre, chaque pièce de l’échiquier continue d’avancer, au gré des stratégies mûries ou improvisées, au milieu de la tempête, avant la visite du plus haut gradé de la police japonaise …
Pour Mikami, cette lutte à laquelle il doit imposer quelque peu son autorité, un autre combat s’engage désormais, celui d’affronter ses démons intérieurs afin d’éclairer des zones occultées par les vagues du passé, peut-être au bout du compte, sa quête de la vérité éclairera-t-elle enfin son chemin …
Edité d’abord chez Liana Levi, Six-Quatre de Hidéo Yokoyama est paru en poche chez Éditions J’ai Lu en octobre 2018.
A noter l’excellente traduction de Jacques Lalloz ainsi que la présence judicieuse d’un glossaire en fin de livre pour les termes spécifiques liés à la culture et autres traditions japonaises.
Je remercie Zonelivre pour cette opportunité de découvrir un autre pan de la société japonaise, dans les coulisses d’un commissariat de province, Tokyo n’est jamais loin, il est des polars qui se transcendent au point de donner de nouvelles lettres de noblesse à un genre qui n’en finit plus de fasciner, de continuer à me hanter par ses répercussions démultipliées à souhait, dans la fragilité comme dans les certitudes, l’être humain respire et vit avec ses fantômes du passé, ses doutes et ses espoirs de lendemains meilleurs. Qu’il le veuille ou pas.
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J’adore la littérature japonaise mais je n’aime pas les pavés… A voir si je sauterai le pas pour ce roman qui est fort tentant.