INFOS ÉDITEUR
Parution aux éditions Fleuve en mai 2013 Parution aux éditions 10/18 en juin 2014 Traduit par Jean-Luc DEFROMONT Polar lauréat du prix Giorgio Scerbanenco 2012 (meilleur roman policier de l’année) par l’un des auteurs italiens les plus en vogue du moment ! L’inspecteur Lojacono est seul au commissariat le soir où l’on signale le meurtre d’un adolescent, abattu d’une balle dans la nuque devant chez lui. Deux autres adolescents, d’âges et de milieux sociaux différents, sont retrouvés assassinés selon le même mode opératoire peu de temps après. À proximité de chacun des corps, le meurtrier a semé des mouchoirs en papier… Leur analyse révèle qu’ils sont imbibés de larmes. La presse surnomme aussitôt ce tueur en série » le crocodile « , car comme le prédateur, il semble pleurer au moment où il tue ses victimes. (Source : 10/18 – Pages : 312 – ISBN : 978-2264063557 – Prix : 7,50 €) |
L’AVIS DE CATHIE L.
La méthode du crocodile (Il metodo del coccodrillo), paru en Italie en 2012, traduit par Jean-Luc Defromont, a été publié en France par fleuve Noir en 2013, puis réédité en 2014 par les éditions 10/18, collection « Domaine Policier ».
Le roman est découpé en chapitres courts, des tranches de vie de personnes sans lien apparent. Ils sont tous écrits au passé sauf le chapitre 16 qui est rédigé au présent. Ils alternent entre le point de vue du criminel, qui raconte comment il met ses crimes au point, le point de vue de la police dont on suit les investigations, et celui des autres protagonistes, tous les trois formant les maillons de la chaîne.
Dans certains chapitres, on suit les futures victimes dans leur quotidien; de l’autre, les préparatifs des meurtres.=> Cette alternance entre les deux pôles du récit fait monter la pression chez le lecteur qui a envie de taper sur l’épaule de la prochaine victime et de lui dire: « Attention!! Un tueur guette dans l’ombre dans laquelle il se tapit. Reste chez toi !! » Maurizio De Giovanni joue avec nos nerfs d’une manière magistrale, en instillant un suspense parfois insoutenable.
« A côté de la porte, il y a un arbuste; une sorte de cyprès nain. Le vieil homme croit savoir que son nom exact est thuya. Parfait pour se cacher derrière quand on n’est pas trop grand, ce qui est précisément son cas. Une petite pluie silencieuse se met à tomber. Le vieil homme, qui a consulté les prévisions météo, savait qu’il allait pleuvoir. Ce n’est pas nécessaire mais ça l’aidera assurément: les personnes qui auront envie d’aller se promener seront moins nombreuses. Ici, beaucoup de gens ont un chien, mais à neuf heures tout le monde est attablé devant le dîner. Peut-être que ce sera justement une personne promenant son chien qui trouvera le corps. » (Page 88).
Dans les passages en italique, l’assassin s’adresse à une personne aimée et lui raconte comment il prépare ses meurtres. L’ingéniosité de l’auteur est de montrer au lecteur les deux facettes du récit : la série de meurtres et l’enquête de la police, faisant de lui un témoin passif, confronté à l’inéluctabilité des actes qui vont se produire => Raison pour laquelle j’ai lu ce roman d’une traite, en proie à une tension délicieusement perturbante.
Les thèmes
Dans son roman, l’auteur italien aborde les thèmes du poids de la société, comment le regard des autres peut peser sur les décisions de quelqu’un au point de l’empêcher de mener sa vie à sa guise: « Elle avait même pensé aux gens de sa ville, à leurs médisances, qui affecteraient la respectabilité de ses parents ». (Page 235). Il est également question de vengeance, d’une vengeance terrible et implacable, dans le genre d’une vendetta que l’on met au point des années durant.
Humour : malgré cette sombre histoire de terrible vengeance, le récit est plein de dialogues émaillés de sarcasmes les uns envers les autres au sein du commissariat où travaille Lojacono, notamment quand Giuffrè, son collègue, se moque de lui (mais gentiment).
L’intrigue
L’inspecteur Lojacono, originaire de Sicile, injustement accusé de collusion avec la mafia, a été muté à Naples afin de l’éloigner et d’éviter ainsi le scandale. Résultat, sa femme l’a quitté, sa fille ne veut plus lui parler et ses amis lui ont tourné le dos. Dans son nouveau commissariat, où on l’a affecté au service des plaintes avec le brigadier Luciano Giuffrè, il tue le temps en jouant sur son portable.
Un vieil homme mystérieux arrive à Naples dans laquelle il erre à la recherche d’un jeune homme à scooter. Il semble tout à fait inoffensif et d’ailleurs personne ne remarque sa présence. Peu après, Mirko est retrouvé mort dans la cour de son immeuble d’une balle dans la nuque; à proximité, la police retrouve un tas de mouchoirs en papier usagés. Lojacono, seul au commissariat le soir du meurtre, est le premier sur les lieux où, peu après, il rencontre la substitut du procureur. La jeune femme, impressionnée par ses remarques pertinentes, l’associe à l’enquête, au grand dam du commissaire Di Vincenzo, qui a une dent contre lui.
Quelques jours plus tard, une jeune fille de quatorze ans est retrouvée morte à proximité de son domicile: même modus operandi, même tas de mouchoirs en papier usagés. Puis un troisième meurtre selon le même processus. Les trois adolescents, d’âges et de milieux sociaux, n’ont apparemment aucun lien entre eux. Après analyse, il s’avère que les mouchoirs sont imbibés de liquide lacrymal, ce qui vaut à l’assassin le surnom de « crocodile », non parce qu’il pleure au moment de tuer ses victimes, mais parce que, tel un prédateur, il observe longuement les habitudes de sa proie, tapi dans l’ombre, patient et obstiné, préparant son attaque sans plus aucune préoccupation pour autre chose. D’autant que le tueur est discret, pratiquement invisible, ne laissant comme seuls maigres indices les fameux mouchoirs en papier.
Lojacono arrivera-t-il à le démasquer à temps et à interrompre cette terrible série de meurtres ne prenant pour cible que des adolescents?
La presse: l’influence de la presse sur la population et donc son poids sur l’enquête est une composante de La méthode du crocodile, montrant les implications indirectes qu’elle peut avoir sur la conduite d’une enquête :
« Lojacono comprit immédiatement qu’il était arrivé quelque chose en voyant deux fourgonnettes garées devant l’entrée du commissariat à côté d’une voiture surmontée de grandes antennes paraboliques, sur la carrosserie de laquelle s’étalaient les logos des principales télévisions nationales. Comme elles obstruaient partiellement la rue étroite, un policier discutait de manière animée avec leurs conducteurs pou les convaincre de les déplacer. En vain. Dans la cour, c’était encore pire. Un peloton de journalistes armés de micros et de magnétos tentait d’entrer de force dans le commissariat. » (Page 147)
Piras, la magistrate chargée de l’enquête, s’adressant à Lojacono : « Le ton des articles et des journaux télévisés est menaçant…Le raffut des média couvre carrément l’assassin : il nous entrave et nous influence. » (Page 191) => Amusant quand on sait que De Giovanni collabore régulièrement avec la télévision italienne et publie dans les journaux de sa ville…
Les personnages
Une galerie de personnages vivants, en proie à des sentiments et des pulsions humains, comme tout un chacun:
- Inspecteur Giuseppe Lojacono : traits du visage presque orientaux : yeux noirs en amande, pommettes hautes, lèvres ourlées, raison pour laquelle il est surnommé « le Chinois » ; faisait partie de la brigade mobile d’Agrigente, sa ville natale, avant d’être muté à Naples.
- Brigadier Luciano Giuffrè : 1m65, ventripotent, lunettes aux verres épais ; travaille avec Lojacono au service des plaintes.
- Di Vincenzo : chef du commissariat de San Gaetano.
- Laura Piras : substitut du procureur ; « une autorité absolue émane de son visage, de ses traits aigus et surtout de ses yeux noirs » (Page 59) ; elle a un accent sarde très prononcé (Ce qui est amusant pour nous lecteurs français car je n’ai aucune idée de ce à quoi ressemble cet accent…)
- Savarese : policier ; quinquagénaire corpulent, à la mine constamment renfrognée.
- Mirko Lorusso : 16 ans, vit seul avec sa mère; fait de petits boulots pour Antonio.
- Antonio : petit trafiquant de drogue de seconde zone.
- Gidda de Matteis : jeune fille de 14 ans, seconde victime ; vit seule avec sa mère.
- Allega : amie de Gidda.
- Eleonora : petite amie de Donato ; enceinte.
- Donato Rinald : 23 ans, étudiant en médecine ; jeune homme sérieux, beaucoup de charme; 3e victime.
- Sebastiano Rinaldi : père de Donato ; gynécologue réputé, dirige un hôpital ; veuf ; la cinquantaine, tiré à quatre épingles, cheveux gris souples et coiffés en arrière, lui conférant un air d’autorité.
- Letizia : propriétaire de la trattoria où Lojacono prend ses repas ; est devenue une amie ; elle est veuve ; c’est une belle femme brune, souriante, sympathique, avec le sens de la repartie ; rire contagieux.
- Sonia : ex-femme de Lojacono.
- Marinella : sa fille.
- Vieil homme mystérieux : « Le vieil homme marche le long du mur. Il traîne un peu les pieds, ses souliers usés frôlent les dalles déchaussées et mouillées. Il est prudent, il scrute le sol pour ne pas tomber.De temps en temps, sa main tire un mouchoir de sa poche et essuie une larme sous le verre gauche de ses lunettes… Le vieil homme marche le long du mur et nul ne le voit. Il est comme un souffle de vent, comme un rat dans l’ombre. » (Page 38).
Les lieux
La ville de Naples, où se déroule toutes les enquêtes de l’inspecteur Lojacono, constitue bien plus qu’un simple décor. Elle est un personnage à part entière dont on perçoit toutes les facettes, le plus souvent à travers le regard réprobateur de Lojacono, au moins dans les premiers temps, ne parvient ni à la comprendre, ni à l’apprécier.
« Le panorama de cette ville me perturbe. On dirait un décor en carton, tu sais, de ceux qu’on utilise dans les programmes télé à deux sous. Du vide. » (Page 198)
« Les mots de Luisa Lorusso jaillissaient (…) dans la puanteur d’ail et d’oignon des déjeuners que des ménagères préparaient, dans le son des sirènes qui déchiraient l’air, des moteurs et des klaxons de la circulation étouffant la ville. » (Page215)
« Tout le monde était absorbé par ses propres affaires et faisait attention à éviter les problèmes, prêt à se défiler sans demander son reste. Une ville qui vous glissait entre les doigts, se liquéfiait en s’évaporant soudain ». (Page 36)
=> On notera au passage les thèmes négatifs employés par l’auteur pour dépeindre une ville qu’il connaît sur le bout des doigts et qu’il aime avec passion; encore un clin d’œil amusant…Il en faut pour alléger un peu l’atmosphère étouffante et lourde de cette histoire.
Mon avis
Grâce aux chapitres dans lesquels l’auteur nous fait pénétrer dans l’intimité des personnages, on s’attache aux futures victimes. Et tout au long du récit, on se demande quand et comment la police, notamment l’inspecteur Lojacono, va réussir à démasquer le tueur et stopper la série de meurtres. Les nerfs tendus à l’extrême, on le suit dans ses investigations, la tension devenant encore plus palpable quand on voit qu’il s’approche de la vérité. Mais il s’en approche seulement jusqu’au dénouement final qui, je dois dire, m’a choquée !!
Tout dans ce roman est attachant : ses personnages dignes de films de série noire ; sa ville sombre et à la fois lumineuse, ses recoins tristes et miséreux. De Giovanni nous fait découvrir un visage de l’Italie du sud que l’on ne connaît pas forcément : il nous fait pénétrer dans des cuisines exiguës et enfumées, mais aussi dans des salons spacieux et froids comme des tombes. Il nous fait côtoyer des gens riches et désœuvrés, des travailleurs harassés par le poids d’une vie dans laquelle ils traînent sans plus d’illusion sur un possible bonheur… Une écriture fine et acerbe à la fois. Une plongée déstabilisante dans les tréfonds de l’âme humaine. Addictif !!
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