Polar atypique, Allmen et les libellules bénéficie de toutes les facettes du talent de Martin Suter, bien connu pour ses romans « noirs psychologiques »
INFOS ÉDITEUR
Parutions aux éditions Christian Bourgeois en mai 2011 Parution aux éditions Points en mai 2012 Traduit de l’allemand par Olivier Mannoni Johann Friedrich von Allmen, élégant dilettante désargenté, a dû s’installer dans la maison du jardinier. Mais pourquoi renoncer au piano, à l’opéra et aux quatre étoiles quand il est si facile de dissimuler un vase Kangxi sous son manteau en cachemire, pour le revendre à un antiquaire discret ? Et cette coupe Art nouveau ornée d’une libellule, ne lui permettrait-elle pas de rembourser ses dettes ? Déployant tout son talent de scénariste, Martin Suter mène l’histoire d’une main de maître. Les dialogues sont fulgurants, drôles, les descriptions rapides et d’une rare efficacité. (Source : Points – Pages : 168 – ISBN : 9782757824887 – Prix : 5,70 €) |
L’AVIS DE CATHIE L.
Allmen et les libellules (Allmen une die libellen en allemand), paru en 2011 en Suisse, a été publié en 2011 par les éditions Christian Bourgeois, traduit de l’allemand par Olivier Mannoni, traducteur de tous ses romans. Il s’agit du premier opus d’une série de quatre (pour l’instant).
Polar ou pas ? Telle est la question… Un crime et un meurtre mais pas d’enquête à proprement parler. Pas d’enquêteur mais résolution de l’enquête. Martin Suter, assurément joueur à ses heures, aime jouer au chat et à la souris avec son lecteur en toute décontraction et avec beaucoup d’humour. Car la véritable raison d’être de ce roman n’est pas de résoudre une affaire criminelle mais plutôt de sonder l’âme humaine, tout au moins celle d’Allmen et de le mener à la découverte de lui-même dans une sorte de parcours initiatique.
Allmen et les libellules, à coup sûr inspiré des romans feuilletons du 19e siècle, dont on retrouve ici le ton et l’atmosphère, constitue le volet d’ouverture d’une série qui, pour l’instant, se compose de quatre histoires. Martin Suter pose les décors et les personnages avec minutie et légèreté, excellant, comme à son habitude, à décrire les relations de classe en Suisse.
Le style est fluide, le ton désinvolte, à l’image du héros qui prend les choses avec beaucoup de détachement, même lorsqu’il se retrouve dans une situation pour le moins compliquée: Martin Suter, de sa plume légère mais effilée, nous entraîne dans cette ambiance feutrée, un peu à la manière des whodunits anglo-saxons, ambiance amplifiée par le ciel sombre, chargé de pluie ou de neige.
L’intrigue
Johann Friedrich von Allmen – John ou Allmen pour les intimes – est l’unique rejeton d’une bonne famille helvétique. Très tôt, il hérite de la fortune paternelle. Malheureusement, il est plus doué pour les langues (il en parle une petite dizaine) que pour les chiffres. Éternel étudiant globe-trotter, vivant de ses rentes que, contrairement à son père, il ne sait pas gérer, Allmen dilapide son bien peu à peu, avec allégresse et détermination. Il commence par vider ses comptes en banque. Puis il vend une à une ses résidences sises à l’étranger. Ensuite, il s’attaque à la collection d’art de son antiquaire de père : il vend les tableaux, les meubles, les bibelots et, pour terminer en beauté, sa magnifique villa. Mais, par un astucieux tour de passe-passe dont personne ne l’aurait cru capable, il conserve l’usage de la maison de gardien et la serre attenante, transformée en bibliothèque par ses soins.
Au cours de la chute de son empire, il s’est lié avec Jack Tanner, un antiquaire auquel, du temps de sa splendeur, il achetait des pièces somptueuses; désormais, il lui revend tout son patrimoine… ainsi que des objets ne lui appartenant pas. Car le jeune homme, incarnant un art de vivre, une belle éducation, des valeurs et des principes, bref le gendre idéal, s’aperçoit que dans le monde d’en bas, il est possible et même facile de dérober des objets chez les antiquaires qu’il visite pour les revendre à son avantage à Jack Tanner peu regardant sur la provenance des marchandises et possédant un réseau permettant de les écouler discrètement.
Allmen, gentleman jusqu’au bout des ongles, ne détrousse pas les pauvres gens. L’important pour lui est de sauvegarder les apparences de son train de vie passé. Mais tout bascule le jour où il rencontre Joëlle, dite Jo, fille unique d’un célèbre magnat suisse. Peu farouche, la demoiselle le ramène chez elle dès leur première rencontre. A l’aube, pendant qu’elle dort, Allmen déambule dans les pièces de la somptueuse villa. C’est alors qu’il se retrouve dans une salle d’exposition remplie de pièces Art Déco, dont cinq magnifiques coupes aux libellules réalisées par le légendaire maître verrier Emile Gallé. A partir de ce moment, tout va s’enchaîner rapidement, menant Allmen sur une pente dangereuse.
Les personnages
Peu de personnages pour cette fable comico-policière, mais des portraits bien campés et attachants, notamment celui de ce gentleman cambrioleur nouvelle génération.
- Johann Friedrich von Allmen : jeune homme de bonne famille doué pour les langues; étudiant globe-trotter collectionneur d’œuvres d’art qui a dilapidé la fortune paternelle. Chaque matin, il prend son petit déjeuner au Viennois à la même heure. Il s’habille toujours avec élégance : « Il portait un costume gris souris qui lui allait assez bien, même dans cette position ramassée, une cravate aux motifs discrets et une chemise coquille d’œuf à petit col mou. »(Page 13). Se fait appeler John par ses amis et Allmen par les inconnus. C’est un esthète qui aime les belles choses.
- Carlos : majordome guatémaltèque, cuisinier et jardinier.
- Gianfranco : serveur du Viennois.
- Jack tanner: antiquaire; homme élégant, la soixantaine.
- H. Doerig : créancier de Allmen, grossiste en antiquités qui exerce dans l’Oberland. Allmen lui doit beaucoup d’argent.
- Serge Lauber : banquier auquel Allmen sous-loue sa deuxième place à l’opéra.
- Joëlle : dite Jojo, amie de serge Lauber; divorcée, vit la plupart du temps à New-York; blonde platine.
- Klaus Hirt : père de Joëlle, homme d’affaires très riche; propriétaire des cinq coupes aux libellules.
Les lieux
Dans les romans de Martin Suter, les lieux sont décrits sans détails inutiles, seulement afin de poser un décor, de rendre une atmosphère. Transportons-nous quelques instants dans le café le Viennois dans lequel Allmen prend son petit déjeuner :
« Tout l’air vicié de la nuit précédente s’était dissipé, et l’air confiné de la journée ne s’était pas encore fixé. Ça sentait la Lavazza feulante sur laquelle Gianfranco faisait justement mousser le lait d’un cappuccino, les croissants sur le comptoir et les petites tables, les parfums et eaux de toilette des quelques oisifs et flâneurs qui étaient les seuls occupants du Viennois à cette heure-là. » (Page 13).
La boutique de l’antiquaire semble tout droit sortie d’un autre monde :
« L’espace d’exposition et de vente de la boutique était encadré par des vitrines intégrées, qui faisaient partie de l’aménagement originel. Les objets y étaient éclairés par des spots mobiles fixés au plafond sur des rails électriques. Au milieu se trouvait un alignement de vitrines sur pied pour les bijoux, l’argenterie et le petits bibelots. La pièce était d’une élégance un peu empoussiérée et sentait la cire avec laquelle on lustrait le parquet à lames grinçant. » (Page 21)
J’ai gardé pour la fin le domaine dans lequel Allmen évolue: le parc de sa villa et, morceau de choix, la bibliothèque en verre :
« Les arbres du parc y étaient denses et sombres. Les troncs des grands sapins et des épicéas émergeaient d’un sous-bois presque impénétrable fait d’ifs et de fougères. » (Page 12)
Pénétrons maintenant au cœur de son univers :
« Son seuil était de deux marches plus bas que le sol de l’entrée. derrière se trouvait une pièce qui avait jadis servi de buanderie pour la villa, et avait donc une taille disproportionnée. On y trouvait une machine à laver et un sèche-linge; quelques cordes à linge y étaient tendues. La plus grande partie de la pièce était occupée par des caisses et des meubles empilés jusqu’au plafond. C’est là qu’étaient entreposés les objets de la vie antérieure d’Allmen, ceux auxquels il ne pouvait pas renoncer, ou bien les invendables. » (Page 25)
« Ils pénétrèrent dans l’unique salle de la petite maison qui répondît à peu près aux ambitions d’Allmen : la bibliothèque. Elle était deux fois plus grande que la maison du jardinier. Contre ses murs se dressaient des rayonnages dont on constatait, en y regardant de plus près, qu’ils avaient jadis été taillés sur mesure pour un autre lieu. La pièce était d’une clarté inhabituelle, ce jour-là, compte tenu du climat et de sa situation ombragée. Et elle était en verre : il s’agissait de l’ancienne serre de la propriété. » (Page 26).
Mon avis
Polar atypique, Allmen et les libellules bénéficie de toutes les facettes du talent de Martin Suter, bien connu pour ses romans « noirs psychologiques » : plume sobre, humour parfois grinçant, style agréable à lire, habileté à brosser des portraits de personnages drôles et attachants, à peindre des ambiances subtiles propres à mettre en scène l’histoire sans surcharge inutile… Vous passerez certainement un bon moment à suivre les frasques de ce « John » Allmen, avec, je n’en doute pas, un petit sourire aux lèvres.
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