Un excellent polar, à l’efficacité et la sobriété propres aux romans scandinaves
PRÉSENTATION ÉDITEUR
Dans les dossiers de l’inspecteur Sejer, il reste deux affaires non élucidées : celle d’une prostituée de luxe, Marie Durban, sans doute étranglée par un client ; et le cas d’Egil Einarsson, dont le corps vient d’être repêché dans une rivière. Deux meurtres qui ont un point commun : Ève Magnus, une jeune mère apparemment sans histoires. Sa relation avec les victimes réserve bien des surprises…
L’AVIS DE CATHIE L.
« L’oeil d’Eve », publié en 1995, est le premier roman de Karin Fossum. Le style est sobre, facile à lire, très plaisant. C’est dans ce roman que l’on voit pour la première fois l’inspecteur Konrad Sejer, personnage enquêteur récurrent que le lecteur apprendra loeil-deveàconnaître et à apprécier au fil de ses enquêtes. L’auteur aborde des thèmes propres à notre société moderne: la solitude; l’exclusion; le deuil… Le roman s’ouvre avec un prologue pour le moins mystérieux: il y est question d’une cabane dont la porte se referme prenant une femme au piège, alors qu’un homme et son chien se trouvent à proximité.
Puis, nous voilà dans le bureau de l’inspecteur Sejer. Deux assassinats commis à quelques jours d’intervalle dans une petite ville : pas de coïncidence ; Einarsson fréquentait L’Arme du Roi qui se trouve à 300 m du domicile de Marie Durban, la femme assassinée. Ce que Sejer en pense :
« En fait, il se maudissait de l’avoir laissée partir si facilement au début. Il l’avait crue, bordel ! Mais, au fond, c’était peut-être vrai qu’elle avait rencontré Marie tout à fait par hasard. Le fait que Marie ait été assassinée le soir même avait dû lui faire un vrai choc. D’où son comportement bizarre quand il l’avait interrogée la première fois : une espèce de nervosité, de tremblement intérieur. Quel sang-froid en revanche, six mois plus tard, pour Einarsson. Ce n’est pas donné à tout le monde d’aller manger tranquillement après avoir découvert un cadavre. Et puis, quand même, cette histoire d’argent. Dans la dèche au moment de la mort de Marie ; à l’aise depuis ! »
Dès le début du roman, Karin FOSSUM sème les indices sur la route du lecteur, ce qui lui permet de se faire sa petite idée sur l’identité de l’assassin. Ainsi, tout l’intérêt du récit est de voir comment Sejer va reconstituer les circonstances des crimes et comment il va procéder pour confondre le coupable. Tout repose sur la psychologie des personnages, des gens ordinaires comme vous et moi mais qui, à un moment de leur vie, vont déraper…
- Eve et sa fille Emma se promènent au bord du fleuve : elles voient un cadavre dans l’eau mais Eve ne prévient pas la police. C’est une autre promeneuse qui le trouve un peu plus tard et prévient la police.
- Le cadavre porte quinze coups de couteau. La moitié dans les reins, les fesses et le bas-ventre, le reste sur le côté droit, au-dessus de la hanche; coups portés avec une grande force par un droitier du haut vers le bas; sans doute avec un couteau à lame longue et très fine. La voiture du mort, retrouvée à la décharge, avait été vendue par Jorun, sa femme, à son frère.
- Au moment de sa disparition, en octobre de l’année passée, six mois plus tôt, Egill Einarsson s’apprêtait à rencontrer un acheteur pour sa voiture, le soir à 21h. Cela ressemble à un coup monté ou à un piège.Les personnages:
- Madame Breningen : travaille à l’accueil de la police ;
- Inspecteur Sejer Konrad : visage fermé, impénétrable, apparence sévère, nature réservé mais affable, avare de louanges et de sourires ; yeux gris-bleu ; solide, bronzé, cheveux gris et drus, coupés court. Possède une Peugeot 604 bleue, vieille et poussive. Possède également un chien Leonberg appelé Kollberg ; seuls vices : un whisky et une cigarette chaque soir. Fait du saut en parachute. Veuf, sa femme s’appelait Elise. Histoire personnelle du personnage qui le rend plus humain, plus accessible : « A la fin, quand elle était malade, à bout de forces, amaigrie, chauve, il voulut s’attaquer à cette maudite salle de bains. Elle avait refusé. Elle préférait qu’il reste près d’elle, assis sur le bord de leur lit (…)Arrivé dans le salon, il composa le numéro de sa fille Ingrid, le seul enfant qu’ils avaient eu. Ils papotèrent un long moment de tout et de rien (…) Il décida de faire un rapide tour sur la tombe d’Elise. Il y passait souvent ces temps-ci, observant la lente régression des plaques de neige et réfléchissant à ce qu’il allait planter ce printemps. Des primevères ça irait bien avec les crocus bleus et violets qui allaient percer dès que le soleil serait un peu plus chaud. »
- Eve : grande, maigre, épaules frêles ; longs cheveux bruns ; artiste peintre.
- Emma : fille d’Eve ; grosse, balourde, grande bouche, cheveux roux ; va entrer au CP ; son père est parti.
- Karlsen : policier ; 10 ans plus jeune que Sejer, plus petit ; un air de dandy, moustache cirée à l’impériale et crinière rejetée en arrière.
- Goran Soot : policier : jeune, cheveux épais et ondulés ; musclé, teint sans défaut.
- Holtemann : chef de service.
- Jacob Skarre : policier. Gars du sud, cheveux bouclés, visage ouvert.
- Egil Einarsson : cadavre trouvé dans l’eau au début du roman ; 38 ans, a disparu 6 mois plus tôt ; employé à la brasserie.
- Jorun Einarsson : épouse d’Egil.
- Marie Durban : autre affaire dont s’occupe Sejer.
- Matteus : petit-fils de Sejer ; somalien adopté par Erik et Ingrid.
- Ingrid : fille de Sejer, infirmière.
- Erik : mari d’Ingrid, médecin.
Les personnages du roman se répartissent en deux catégories:
- les personnages récurrents: les policiers faisant partie du commissariat que l’on retrouvera régulièrement dans les enquêtes de Konrad Sejer ; les proches de Konrad, comme sa fille et son petit-fils, qui n’ont pas d’interaction directe avec l’histoire mais donnent une certaine épaisseur au policier.
- les personnages directement liés à l’enquête: victimes; proches et amis des victimes.
Ainsi, le nombre assez restreint de personnages permet de donner des limites à l’intrigue en évitant un éparpillement, un foisonnement qui lui seraient fatals. Trop de personnages et trop de rebondissements nuiraient à l’efficacité du roman.
La première chose à noter est la vraisemblance de l’intrigue:
- Rapport du médecin légiste seulement quinze jours plus tard.
- Réunion des policiers pour discuter du rapport d’autopsie ; reconstitution de la scène . => C’est un peu comme si le lecteur faisait partie de l’équipe de policiers.
Deuxième chose important, le fait que, malgré les indices semés un peu partout, Karin Fossum parvient parfaitement à maintenir le suspense tout en nous entraînant dans les méandres de cette histoire qui est plus complexe qu’il n’y parait :
- Le long flash-back qui raconte comment Ève a rencontré son amie d’enfance, comment elle a assisté au meurtre de Marie …
- Scène dans le chalet de Marie, quand Eve est planquée dans la fosse d’aisance :« L’homme fouillait bruyamment tiroirs et placards. Il semblait violent, furieux. Le chalet allait ressembler à un champ de bataille après son départ. Son départ ? Mais peut-être allait-il dormir là (…)pendant qu’elle, elle resterait là glacée, dans un tas de merde. Elle risquait la gangrène ; elle allait succomber au froid, à l’angoisse, à la puanteur. Eve espérait et espérait encore. L’homme cherchait et cherchait toujours. (…) Elle sentit le sommeil la gagner, pensa qu’elle devait surtout y résister mais succomba peu à peu à la somnolence (…) Mais l’idée la frappa soudain qu’elle pas remonter de là, qu’elle ne pourrait jamais prendre appui sur cette fange inconsistante, qu’elle allait rester là et mourir avec deux millions à ses pieds. (…)A travers sa demi-conscience, elle remarqua vaguement le silence alentour. Dormait-il sous le plaid écossais ? Etait-il en train de se préparer un vin chaud sur la cuisinière ? Contemplait-il le feu dans la cheminée ? Elle remua ses doigts engourdis, glacés, puis oublia toute velléité de s’en sortir et de referma contre toute sensation : l’odeur, le froid, l’obscurité, l’angoisse. Elle ne gardait qu’une petite flamme de vigilance au cas où il viendrait pisser. Mais la flamme rétrécit, s’éteignit ; elle rentra en elle, se fondit dans le noir. »
« L’oeil d’Eve » de Karin FOSSUM est un excellent polar, à l’efficacité et la sobriété propres aux romans scandinaves ; ni trop long, ni trop court, qui, je pense, satisfera tous les adeptes du roman à énigme. Le mélange action / psychologie des personnages comblera tous les amateurs du genre…
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