Né en 1975, Marin Ledun a déjà publié trois thrillers : La Guerre des Vanités (2010, éditions Gallimard, Série Noire), Modus Operandi (2007, éditions Au Diable Vauvert) et Marketing Viral (2008, éditions Au Diable Vauvert).
Il est également l’auteur de deux essais, La Démocratie assistée par ordinateur (2005) et Pendant qu’ils comptent les morts (2010, La Tengo), et de pièces radiophoniques pour France Culture
Pouvez-vous me décrire en quelques mots votre parcours ?
Enfance heureuse en Ardèche, famille nombreuse et généreuse, baccalauréat économique, études en sciences économiques, puis une thèse de doctorat en science de l’information et de la communication à Grenoble, chercheur en sociologie pendant sept ans au Centre National d’Etudes des Télécommunications, démission en 2007 pour ne pas perdre mon existence à faire carrière, coincé derrière un bureau à compter mes primes, et pour me consacrer aux choses essentielles. La vie. La rage. L’amour.
Comment vous est venue l’envie d’écrire ? A quelle période ?
L’envie d’écrire m’a pris peu de temps après avoir découvert la lecture sur un lit d’hôpital, vers six/sept ans. On est au tout début des années 80. Internet n’existe pas, ni les portables, les SMS, le courrier électronique. La télévision n’est pas arrivée jusqu’à chez moi – mes parents m’en ont préservé, qu’ils soient bénis – ni la micro-électronique et ses cohortes de jeux informatiques. Je découvre les livres pour enfants de l’époque, navrants pour la plupart, et un roman jeunesse SF de Christian Grenier, Les cascadeurs du temps, qui me marque durablement. Puis vient La stratégie Ender, d’Orson Scott Card, et s’ouvre enfin la bibliothèque de mes parents, avec Caldwell, probablement le père du roman noir, Hemingway, Zola, Stendhal. Parallèlement j’écris énormément. Rien de très littéraire, l’idée ne me vient même pas à l’esprit. J’écris des lettres. Correspondance fournie avec la famille, les amis, les petites amies.
Des centaines de lettres papier envoyées aux quatre coins du pays, parfois aussi épaisses que de petites romans, des milliers de pages, et donc autant d’échanges enrichissants et passionnants. Il existe mille formes d’écriture. La correspondance en est une qui m’a tenu jusqu’à ce que j’attaque ma thèse de doctorat. Une formidable école d’écriture de près de quinze ans. Grosse rupture ensuite pendant sept/huit ans pour me consacrer à mes recherches, puis ma vie de famille naissante, et redécouverte en 2005, quand j’ai réalisé qu’il me manquait quelque chose d’important. Mon premier roman, Marketing Viral, naît à ce moment-là, comme une délivrance, suite à toutes ces années de contraintes universitaires et scientifiques. Une raison plus politique serait un désir profond de proposer ma propre grille de lecture du monde, en même temps que de m’autoriser à pousser quelques cris de colère. A 30 ans, je me suis enfin senti pleinement légitime pour écrire mon premier texte. Cela n’a étonné personne, je crois.
Quel est votre ‘modus operandi’ d’écriture ? (Votre rythme de travail ? Connaissez-vous déjà la fin du livre au départ ou laissez vous évoluer vos personnages ? )
Je crains de ne pas avoir de réponse très précise à donner à cette question. A l’exception d’une constante – depuis trois ans que je me consacre à l’écriture, cinq jours par semaine en moyenne, six à douze heures à travailler mes textes chaque jour, horaires de bureau, pas ou très peu de vacances… -, je n’ai aucun schéma préétabli par livre. Cela dépend de la thématique, de ma maturité sur le sujet, des personnages que je choisis de développer. Il y a tellement de paramètres qui entrent en jeu. L’état psychique du moment, l’état social, l’urgence du sujet, la fatigue / la forme physique, l’envie, le contexte familial, le marasme économique, etc. Pour Marketing Viral ou pour La Guerre des vanités, le plan d’écriture excédait les 100 pages, mais chacun de ces romans ont nécessité de longs mois de réécriture et plusieurs versions.
Modus Operandi et Zone Est sont des (presque) premiers jets, sans plan ni projections ; ils étaient là, prêts à être écrits, et leurs personnages prêts à vivre leur vie, presque indépendamment de moi. Dans ce cas-là, je commence par la première page et je déroule sans connaître la fin à l’avance, alors que dans Marketing Viral, j’ai attaqué l’écriture par le chapitre central du livre selon moi, qui met en scène l’accouchement de Jézabel. Idem pour La Guerre des vanités ou pour sa (presque) suite, Les visages écrasés, qui sortira prochainement : j’ai déjà la dernière phrase du roman, parfois même l’épilogue. Je sais où je veux en venir, mais il me faut alors trouver la meilleure manière d’amener le lecteur à cette conclusion ; je suis alors contraint de faire un plan pour ne pas me perdre, et donc perdre le lecteur avec moi.
Il y a-t-il des personnages qui existent vraiment, dont vous vous êtes inspiré ?
Une règle d’or (blanc) : ne jamais m’inspirer de personnages existants ou ayant existé. Toute ressemblance… L’esprit humain, pour peu qu’on le stimule un peu, possède une force d’imagination, une propension à la création imaginaire, suffisamment importantes pour créer son propre univers… dans la limite de ses schémas mentaux et sociaux. Chacune et chacun d’entre nous a ce pouvoir.
De manière plus pragmatique, mes personnages sont avant tout des supports humains pour raconter des histoires et traiter une thématique donnée. Dans ce sens, ils sont donc caricaturaux, souvent, schématiques, parfois… et ils n’appartiennent qu’à moi, ce qui me donne une infinie liberté, même si cela ne m’empêche pas d’écrire des romans très contemporains. Je ne suis pas un grand fan de l’idée de dictature du réel et des faits que s’imposent certains auteurs de ma génération. Les faits n’existent qu’à travers nos représentations du monde. Je ne crois pas en une écriture rationnelle, behavioriste diraient certains, presque scientifique. Il n’y a aucun schéma établi. Chaque écrivain fait ce qu’il peut.
Le parcours a t-il été long et difficile entre l’écriture de votre livre et sa parution ?
Si vous faites allusion à mon premier roman, Marketing Viral, je dois vous avouer que tout a été très simple. Manuscrit envoyé par la Poste fin novembre 2005 (oui, les éditeurs lisent les romans envoyés par la Poste, ne croyez pas ceux qui prétendent le contraire !), réponse favorable de plusieurs éditeurs peu de temps après, entre mi décembre 2005 et janvier 2006. Publication l’année suivante au Diable Vauvert. Et le rythme s’accélère depuis. Je suis insatiable.
Avez-vous reçu des remarques surprenantes, marquantes de la part de lecteurs ?
Le retour de lecture le plus fort qui me soit jamais parvenu est arrivé chez moi sous la forme d’une lettre manuscrite, à laquelle était jointe une enveloppe timbrée. Un homme était à la recherche de son fils perdu de vue depuis des années. Ce fils porte le même nom que celui de l’un de mes personnages romanesques. Cet homme croyait, espérait que mon roman était la biographie de son fils, que je le connaissais et que je pourrais ainsi les mettre en contact. Malheureusement, ce n’était pas le cas.
Avez vous d’autres passions en dehors de l’écriture (Musique, peinture, cinéma…) A part votre métier, votre carrière d’écrivain, avez vous une autre facette cachée ?
La vie, la rage et l’amour. Comme tout le monde, non ?
Quels sont vos projets ?
Trop. L’apiculture, le travail du bois, monter une scierie mobile, la guitare flamenco, l’autonomie alimentaire et énergétique, les amis, la famille. Mais aussi : Les visages écrasés, roman noir pour lequel Richard Revel, le second de Korvine dans La guerre des vanités, reprend du service pour enquêter sur des meurtres en entreprise. Roman qui devrait sortir avant l’été 2011. Je travaille en ce moment sur le tome 2 de Marketing Viral. Je prépare également un thriller fantastique pour adolescents qui devrait sortir en 2012. Dans un autre registre, je travaille avec le sociologue Bernard Floris à l’écriture d’un essai sur la marchandisation et la consommation.
Quels sont vos coups de cœur littéraires ?
Récemment, j’ai dévoré Vélum et Evadés de l’enfer ! de Hal Duncan et Le fleuve des Dieux de Ian McDonald. Je (re)découvre Erskine Caldwell (Le doigts de Dieu, La route du tabac…), Larry Brown ((Fay, Dur comme l’amour, Père et fils, Sale boulot, son premier roman) et Pierre Pelot (L’été en pente douce). Je n’oublie pas non plus Tokyo, ville occupée de David Peace. Et bien sûr, mon livre de chevet, les Lettres à Franca, de Louis Althusser, qui est la publication de la correspondance de ce « typapart », comme l’appelaient sa cousine germaine et sa sœur, avec la traductrice italienne Franca Madonia, de 1961 à 1973, correspondance tant amoureuse, littéraire que philosophique. Certaines lettres d’amour de la période passionnelle 1961 – 1963 sont d’une beauté…
Avez-vous un site internet ou un blog où vos lecteurs peuvent laisser des messages ?
Vous trouverez tout cela et d’autres choses encore, ici : http://www.pourpres.net/marin/
Merci à Marin Ledun de nous avoir accordé cette interview.
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