Tête à tête avec l’auteur
Sébastien MOUSSE : Bonjour Jérôme Fansten, welcome sur zonelivre, merci de m’accorder un peu de temps pour le site. Manuel de dramaturgie à l’usage des assassins est un livre hors-norme, comment on le « vend », on le présente à un éditeur, qui est en plus dans le roman ?
Jérôme FANSTEN : Stephen Carrière avait déjà publié mes deux premiers romans, donc c’est simple : je l’appelle, on déjeune, je lui parle du projet, et voilà. Il n’en veut pas alors je menace sa femme et ses enfants, il me signe, c’est parti.
Je n’avais pas comme but de faire un bouquin atypique, moi. Je ne me réveille pas le matin en me disant : « Tiens, aujourd’hui je vais être vachement original ! »
Au contraire, je me suis dit : je vais écrire un roman baroque, parce que j’aime travailler le langage, les mots… l’écriture blanche m’emmerde… je vais parler de dramaturgie parce que c’est mon boulot et que je commence à avoir un bon bagage… et je vais parler des rapports entre réalité et fiction parce que j’ai la furieuse impression qu’on habite chacun sa propre fiction et que de plus en plus de personne sont prêtes à tuer pour elle !
SM : À écrire un tel livre, soit l’on devient schizophrène, soit on l’est déjà et justement c’est une thérapie, vous allez mieux tous les deux ?
JF : Tu veux que je te dise ? Je suis le type le plus normal que je connaisse. Et je vais bien. J’ai arrêté de disséquer mes excréments, ma copine est revenue (en un seul morceau), bref, j’ai le vent dans le dos.
SM : Comme je l’ai écrit plus haut l’exercice de style est dangereux, à chaque moment on risque la chute, garder l’équilibre entre fiction/réalité, entre les différents styles d’écriture; le roman, le mail, le chat, etc. comment tu as fait pour travailler un tel manuscrit ?
JF : Pour commencer, je ne l’ai pas vu comme un exercice de style. Les documents qui accompagnent le récit permettent des jeux narratifs qui sont tout sauf gratuits ! Ellipses, flash back, etc. Ça propose, le temps d’une ou deux pages, de sortir du point de vue exclusif du narrateur… ça permet d’explorer les à-côtés du monde fictionnel mis en place, sans perdre le fil de la narration… Enfin, ça prolonge la réflexion sur les rapports réel/fiction qui sont au centre du bouquin !
Dans la première version remise à mon éditeur, il y avait au moins le double de « documents ». Eh ben j’ai viré, parce que ça ralentissait le rythme de la lecture ou que ça ne proposait pas d’éclairage particulier sur telle ou elle scène. Bref, la contrainte est là : allons-y pour les jeux formels, à condition qu’ils soient justifiés par l’intrigue.
Alors oui, on peut se tripoter et parler de sample ou de zapping , on peut dire que ce sont deux grandes figures artistiques contemporaines… Mais bon, ce serait des justifications a posteriori. La vérité, c’est que je voulais que le bouquin soit le plus ludique possible sans sacrifier à sa composante « expérimentale ». (Cela dit, je suis resté soft, parce que si tu lis Cortazar, par exemple, ou Perec, tu comprends vite que j’en suis encore au bac à sable niveau « jeux littéraires » !)
SM : C’est moi ou tu règles quelques comptes dans ton livre, balançant de-ci de-là quelques vacheries bien senties, sur certains acteurs, auteurs putassiers, putassier, un adjectif que tu aimes et emploi fréquemment. Blasé par le milieu ?
JF : Hum… C’est pas mal, « putassier » pour décrire l’époque, non ? Cela dit, je l’ai surtout voulu comme un tic de langage du narrateur. Et c’est évidemment ironique parce que dans la série « putassier », le type se pose là !
Pour ce qui concerne les règlements de comptes… non, j’en sais rien. On ne va pas feindre de découvrir que les milieux du cinéma ou de l’édition sont, en marge des paillettes, de foutus paniers de crabes. Mais je n’ai pas passé tellement de temps sur ce sujet, une dizaine de lignes sur 460 pages, ça va.
En tout cas, je ne suis pas blasé, j’adore mon métier de scénariste. Je trouve que le scénariste en France est encore considéré comme un fusible interchangeable et/ou un paillasson, on réécrit trop dans son dos, mais les choses changent petit à petit. Tant mieux.
SM : Tu utilises ton propre blase, celui de tes amis, de ton éditeur, tu n’as pas été emmerdé par les stups ?
JF : Plus depuis que je leur donne une part de mes bénéfices.
SM : Si l’on doit écouter une musique, un album en lisant ton livre, ce serait quoi ?
JF : Peut-être le Unplugged de Nirvana. Pour la voix de Cobain, la même rage, sans l’hystérie des albums studio. Tu l’écoutes et tu te dis que ce type a une tribu de varans sur les cordes vocales ! ça secoue toujours autant.
Du blues, sinon. Plus calme, en surface.
En fait, c’est ça l’idée : n’importe quelle musique, du moment que c’est posé, voire paisible, sans pouvoir taire tout à fait le chaos qu’il y a en dessous.
SM : Si tu pouvais faire lire ton roman à une personne, réelle ou fictive, ce serait qui ? Et Pourquoi ? Tu es gentil, tu ne me balances pas l’entité ou ton jumeaux, merci.
JF : J’en sais rien. (NB : je n’ai pas de frère jumeau, by the way.)
SM : Jérôme, je te remercie d’avoir répondu à mes quelques questions.
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