INFOS ÉDITEUR
Parution aux éditions Presses de la Cité en janvier 1990 Parution aux éditions Pocket en 1995, septembre 2016 Traduit par Dominique WATTWILLER Le sergent Barbara Havers, 30 ans, ne s’embarrasse ni de coquetterie ni de diplomatie. Et ce n’est pas l’inspecteur Thomas Lynley, pur produit de l’aristocratie britannique à la réputation de don Juan, qui la fera changer. Une seule chose peut lui faire oublier son aversion pour cet ancien d’Eton : un crime à élucider. Justement, dans un paisible village du Yorkshire, on retrouve le corps sans tête de Williams Teys, paroissien modèle. À côté du cadavre, sa propre fille. » C’est moi qui ai fait ça et je ne le regrette pas « , gémit-elle avant de sombrer dans le mutisme… (Source : Pocket – Pages : 456 – ISBN : 9782266274746 – Prix : 6,60 €) |
L’AVIS DE CATHIE L.
Elizabeth George est une romancière américaine née le 26 février 1949 à Warren, petite ville de l’état d’Ohio, dans le nord-est des États-Unis. Elle a acquis sa réputation en écrivant des whodunit dans la pure tradition britannique. La plupart de ses romans policiers se déroulent en Angleterre.
Le roman :
Enquête dans le brouillard, « A Great Deliverance » en anglais, est un roman policier dans la pure tradition anglaise, petit clin d’œil à Agatha Christie et Phyllis Dorothy James, les deux reines incontestées du whodunit britannique, avec tous les ingrédients inhérents : la campagne anglaise, le brouillard sur la lande, le manoir élisabéthain, et même le fantôme, sans pour autant sombrer dans la médiocrité.
Il est le premier écrit par l’auteur, avec l’apparition de ses personnages récurrents dont le lecteur va suivre l’histoire en parallèle des enquêtes menées par l’inspecteur Lynley et son équipière, Barbara Havers. Publié aux Etats-Unis en 1988 et en France en 1990, il a obtenu le grand prix de la littérature policière en 1990.
C’est un roman policier qui accorde à la psychologie des personnages, très poussée, une place aussi prépondérante que les événements survenus et que l’enquête elle-même. Car l’auteur s’interroge autant sur le « pourquoi » que sur le « comment ». Les histoires de chacun s’entrecroisent en une trame riche et complexe. C’est pourquoi l’enquête ne commence réellement qu’à la page 120, les chapitres précédents étant consacrés à la mise en place des personnages récurrents et dont le lecteur pourra suivre l’évolution dans les romans suivants.
Enquête dans le brouillard est une histoire sombre, qui aborde des sujets aussi terribles et tragiques que la dépendance à la drogue, l’exploitation de la misère humaine, du malheur des autres (gens atteints d’un cancer prêts à payer tout ce qu’ils possèdent pour un traitement miracle) ; mais aussi l’inceste et le viol ; la souffrance de toute une famille qui sombre dans la rancœur et les non-dits.
L’intrigue :
Dans un paisible village du Yorkshire, le père Hart découvre le corps décapité de William Teys, paroissien sans histoires. A côté de son cadavre, une hache et, près de la hache, sa fille obèse, Roberta, qui gémit en disant : » C’est moi qui ai fait ça et je ne le regrette pas. »Le prêtre se rend à Scotland Yard pour signaler le meurtre.
Mais le super-intendant Webberly, aux prises avec une affaire de meurtrier en série qui sévit dans les gares de Londres, manque d’effectifs. Il est alors contraint de réintégrer Barbara Havers qui, à la suite de déboires avec des collègues, avait été rétrogradée.
Arrivés sur place, les deux inspecteurs ne croient pas à la culpabilité de la pauvre fille. Sans savoir pourquoi, ils flairent quelque chose de louche: William Teys était apparemment un paroissien modèle, un homme pieux respecté de tous. Pourtant, quelqu’un l’a suffisamment haï pour le décapiter à coup de hache. A l’instar de Lynley et havers, tout le village croit à l’innocence de Roberta. Mais si le tueur n’est pas rapidement démasqué, elle finira ses jours dans l’asile où elle a été internée après la découverte du meurtre.
Keldale, le village anglais où se déroule cette sombre histoire, me fait penser aux villages dans lesquels se déroulent les intrigues de la série « Barnaby » : tout le monde se connaît bien ; la vie se déroule paisiblement. Mais au-delà des apparences, quand on gratte un peu le vernis de respectabilité et de bienséance, les différends qui opposent les villageois font apparaître autant de mobiles possibles.
Les doutes et les questions vont peu à peu ébranler les fondations apparemment solides sur lesquelles repose la sérénité du village : Qu’est-il advenu de la femme du fermier ? Qu’est devenue la fille qui apparaît sur une photo cachée ? Que cache la foi profonde du fermier ? Qu’en est-il du bébé fantôme que l’on entend dans les ruines de l’abbaye les soirs de grand vent ? Teys était-il réellement l’homme charitable et probe qu’il prétend ? Dans ce cas, pourquoi sa femme l’a-t-elle quitté en lui laissant leurs deux filles ? Et que dissimule la boulimie de Roberta ? Pourquoi sa sœur Gillian s’est-elle enfuie à son tour, quelques années après leur mère ?
Les personnages :
Les personnages récurrents :
« Deux policiers de Scotland Yard, Thomas Lynley et Barbara Havers, mènent l’enquête dans un village de la campagne anglaise du Yorkshire, afin d’élucider une sombre affaire de meurtre. » Difficile d’imaginer duo de collaborateurs plus improbable que celui de Lynley et Havers.
En effet, Barbara Havers, issue d’un milieu populaire, est petite, laide et revêche; elle est mal fagotée, elle a un fichu caractère et, à trente ans passés, vit toujours avec ses parents dans un pavillon minable.
Thomas Lynley, quant à lui, est un aristocrate anglais pure souche. 8e comte d’Asherton, ancien élève d’Eton, il est grand, blond, mince, bourré de charme. Aucune femme n’est en sécurité avec lui… sauf Barbara Havers, of course !
Chacun des deux incarne deux visages opposés de l’Angleterre: Barbara, dont on apprécie le franc parler, le fait qu’elle n’ait pas sa langue dans sa poche, qu’elle n’hésite pas à dire ce qu’elle pense, même à son supérieur hiérarchique ; que son sale caractère ne soit en réalité qu’une façon de se protéger, de dissimuler ses propres blessures, de ne jamais montrer à quiconque que sa vie est loin d’être agréable.
Elle déteste Lynley qui, à ses yeux, incarne tout ce qu’elle n’a jamais eu et n’aura jamais: la beauté, la confiance en soi, la classe, la richesse, la vie facile, une carrière brillante, des amis distingués et une maîtresse belle et élégante. Et puis, qu’est-ce qu’un authentique comte fabrique à Scotland Yard ? Qu’un tel homme puisse consacrer son temps et son énergie à se rendre utile à la société en mettant des criminels et des voyous derrière les barreaux bouscule tous les préjugés dont Barbara, il faut bien le dire, est bourrée.
Évidemment, quand Webberly lui donne l’ordre de faire équipe avec son ennemi, sa première réaction est de refuser ; mais Barbara est une femme de tête et de caractère et, finalement, elle relève le défi : puisque le chef en a décidé ainsi, elle va se jeter dans la bagarre et gare à celui qui l’empêchera de faire correctement son boulot qu’elle adore, qu’il soit comte ou lord !!
» Webberly les considéra d’un air songeur. Il se demanda une fois de plus si ce tandem constitué de deux personnalités diamétralement opposées avait ne fût-ce que l’ombre d’une chance de fonctionner. Havers ressemblait à un hérisson, toujours prête à se rouler en boule à la moindre provocation. Pourtant, sous ces dehors épineux se cachait une réelle et pénétrante intelligence. Le tout était de savoir si Thomas Lynley serait suffisamment patient et bien disposé à l’égard d’Havers pour l’inciter à laisser ses facultés intellectuelles prendre le pas sur son caractère impossible. Un caractère qui l’avait empêchée de faire équipe avec qui que ce soit jusqu’alors. » (Page 59).
Un des aspects les plus intéressants de ce roman est d’observer comment Lynley et Havers vont s’y prendre pour mettre de côté leur antipathie, leurs différends et leurs préjugés afin de se concentrer sur l’enquête. Et le lecteur découvrira bientôt que, finalement, ils ne sont pas si différents: au-delà de la façade du policier énergique et compétent se cachent deux êtres fragiles et perturbés. Ce qui les rend d’autant plus attachants.
Ainsi, contre toute attente, on constate que plus l’enquête avance, plus se devine l’évolution subtile de leur relation qui se stabilisera dans les romans suivants, avec pour résultat un duo d’enquêteurs efficace et compétent : Lynley intuitif et compatissant envers les victimes, profondément humain; alors que Havers s’affirme peu à peu jusqu’à devenir une très bonne enquêtrice et un véritable soutien pour son équipier. Complémentarité qui deviendra complicité.
Les autres personnages récurrents: Simon Saint-James est le meilleur ami de Thomas; il travaille pour la police scientifique et, depuis son accident qui lui a coûté sa jambe, il possède son propre labo. Deborah, photographe professionnelle, ancienne petite amie de Thomas avec lequel elle a gardé des relations amicales, est l’épouse de Simon. Lady Helen est la maîtresse en titre de Thomas. Les relations des quatre amis sont loin d’être aisées. L’auteur dévoilera au fur et à mesure des autres romans la trame de leurs vies et comment le passé peut parfois ébranler les sentiments même les plus forts.
Les personnages secondaires :
Les autres personnages du roman, assez nombreux, donnent lieu à des figures également très intéressantes. Mais certains ne sont ici que pour égarer le lecteur sur de fausses pistes, étayant ainsi la complexité de l’intrigue.
Les lieux :
A chacun de ses romans, je suis toujours heureusement surprise de constater combien Elizabeth George, américaine de naissance et de culture, dépeint l’Angleterre avec un brio digne des plus grandes romancières britanniques, prouvant ainsi sa connaissance profonde et juste de ce pays. Jusque dans ses descriptions des lieux dans lesquels se déroulent ses histoires.
L’action d’Enquête dans le brouillard se situe principalement dans la campagne du Yorkshire. En voici un aperçu :
« La campagne, des champs aux landes, était parée d’un millier de nuances de vert. La route plongeait dans les vallons vers des villages immaculés noyés dans la forêt, montait et descendait avant de filer de nouveau en terrain découvert où le vent de la mer du Nord balayait impitoyablement bruyère et ajoncs. Les seuls êtres vivants étaient les moutons qui erraient à leur guise, sans crainte de se heurter aux vieux murs de pierre sèche qui limitaient les ébats de leurs congénères des vallées. Le paysage offrait aux regards un tissu de contradictions. Là où la terre était cultivée, la vie foisonnait dans les moindres recoins, les haies formaient une masse compacte d’où émergeraient dans toute leur beauté, le moment venu, le cerfeuil sauvage, la lychnide, la vesce et la digitale. C’était une région où il arrivait souvent aux voitures de devoir s’arrêter pour laisser le passage à des moutons gras à souhait. » (Page 119)
La description du village de Keldale ne se contente pas de poser juste un décor ; elle crée une atmosphère :
« Il emprunta le sentier de gravillons pour descendre la colline, ses pas résonnant haut et clair dans la paix du soir. Sur le pont, il s’arrêta pour réfléchir et, s’appuyant contre le parapet de pierre, examina le village. A sa droite, la maison d’Olivia Odell était plongée dans l’obscurité, Olivia et sa fille devaient dormir d’un sommeil innocent. De l’autre côté de la rue, des flots d’orgue s’échappaient du cottage de Nigel Parrish situé en bordure du pré communal. A sa gauche, l’auberge attendait son retour et au-delà la grand-rue amorçait sa courbe en direction du pub . De là où il se tenait, il ne pouvait apercevoir Saint-Chad’s Lane et ses pavillons miteux. » (Page 387).
Quant au manoir familial, il est tout à fait typique :
» De style pré-élisabéthain à l’origine, l’édifice avait subi à l’époque jacobéenne un e série de remaniements qui ajoutaient à son air baroque. Les fenêtres à meneaux adressaient des clins d’œil au clair de lune qui avait réussi à percer à travers le brouillard et filait vers les vallons après avoir enveloppé les landes. Les murs étaient tapissés de vigne vierge. Les cheminées hérissaient le toit, se détachant sur fond de ciel nocturne comme une forêt de verrues bizarres. Le bâtiment semblait farouchement décidé à nier l’existence du XX ème siècle, détermination qui avait gagné le parc alentour. » (Page 73).
Mon avis :
Première enquête vraiment très concluante : le style est sobre, efficace, mais aussi grave et parfois mélancolique. Malgré le tragique de l’histoire, Elizabeth George distille savamment quelques pointes d’humour qui empêchent l’oeuvre de sombrer dans le sordide. Une nouvelle reine du crime est née…
Citations :
« Qu’est-ce qu’une adolescente de seize ans connaît au mariage, inspecteur? (…) Quand j’ai épousé William, je ne savais même pas vraiment comment les bébés venaient au monde. Vous allez me dire que je n’étais pas très dégourdie pour une gamine élevée à la ferme, mais il faut vous souvenir que je passais le plus clair de mes loisirs en compagnie des Brontë. Or Charlotte, Anne et Emily n’étaient pas très explicites sur ce genre de détails. » ( Page 199).
« Lynley regarda Gillian dans le miroir. Il ne savait pas ce qui se passerait. Il n’était pas certain que c’était la chose à faire. Il suivait son instinct, un instinct aveugle qui lui répétait que du bien devait sortir, tel un phénix triomphant, des cendres de la journée. » (Page 444).
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