INFOS ÉDITEUR
Parution aux éditions JC Lattès en septembre 2002 Parution aux éditions 10/18 en octobre 2009 Traduit du suédois par Anna GIBSON Göteborg, deuxième ville de Suède logée entre terre, mer et montagne, dont le seul nom chante la magie du Grand Nord… Ce décor idyllique s’effrite sous la plume d’Åke Edwardson. Par le prisme de l’enquête policière, ici restituée dans ses moindres hésitations, doutes et tracasseries administratives, l’auteur autopsie les affres d’une âme nordique en proie aux pires maux des sociétés contemporaines. Erik Winter est le témoin privilégié de cette déliquescence. Dandy un brin désabusé et sans illusions quant aux chances véritables de la justice, le plus jeune commissaire de la police suédoise mobilise tous les moyens, légaux et illégaux, pour traquer le pervers qui endeuille de meurtres barbares sa ville natale. (Source : 10/18 – Pages : 432 – ISBN : 9782264050601 – Prix : 8,80 €) |
L’AVIS DE CATHIE L.
Danse avec l’ange est le troisième roman d’Ake Edwardson mais la première apparition de son personnage récurrent, le commissaire Erik Winter. Ake Edwardson, tout comme ses confrères scandinaves, utilise l’intrigue policière afin de pointer du doigt les travers et les dysfonctionnements de la société moderne, d’autopsier ses contemporains en proie au mal-être des sociétés modernes, ne donne pourtant pas dans le roman policier » anti-social » . Il procède d’une manière plus subtile, moins « rentre-dedans »: çà et là, on relève de discrètes allusions : » L’humiliation suprême devenait un business important, possible à cause de l’ignorance des dirigeants, de leur naïveté politiquement correcte et de leurs bavardages sans fin ».
Le souci de vraisemblance de l’auteur se devine dans l’évocation d’affaires antérieures; le commissariat dans lequel travaille Erik Winter n’a pas vu le jour comme par magie avec la première ligne de Danse avec l’Ange. C’est un peu comme si Ake Edwardson nous en contait la chronique:
« Un meurtre à Peckham à Noël l’année dernière. Notre seul indice était qu’un homme en voiture avait quitté les lieux à peu près à l’heure qui nous intéressait. Il y avait des témoins ».
Le style :
Beaucoup de phrases courtes, style parfois presque télégraphique : pudeur, retenue même dans les descriptions macabres, contrairement à certains auteurs de thrillers qui se complaisent dans l’horreur jusqu’à immerger le lecteur au cœur de descriptions qui ne nous épargnent aucun détail, jusqu’à l’écœurement pur et simple. Pas ici.
Les faits bruts nous sont livrés tels quels. C’est dans le regard des enquêteurs, dans leurs réactions et celles des familles et des proches que le lecteur perçoit l’horreur. Dans leur souffrance, leur incrédulité, leur colère aussi.
De nombreux dialogues donnent vie au roman.
Alternance de récit, de dialogues et des pensées de Winter, l’auteur attachant une grande importance à la psychologie des personnages, à la profondeur et au réalisme de leur personnalité, surtout les personnages récurrents.
L’intrigue :
Le roman commence par un prologue déroutant qui a pour effet de susciter l’intérêt et la curiosité du lecteur: alternance 1ère et 3e personne : « Il manœuvra pour se garer, coupa le contact, se pencha sur le volant. Je suis touché. J’arrive à garder le masque jusqu’à Sankt Sigfrids Plan, pas au-delà. » « Ensuite, il ne réfléchit plus beaucoup. Comme si les câbles du cerveau avaient été coupés, laissant les pensées se déverser en vrac dans la tête puis s’écouler au dehors, avec le sang. Je sais que c’est du sang, que c’est le mien. Je comprends. Je ne sens plus le truc froid, c’est peut-être fini. Je pense à des choses à venir. »
Puis, la première apparition du commissaire Winter : en hiver, juste après Noël, il assiste à l’enterrement de son ami Mats.=> Ambiance très sombre, qui donne le ton à la suite du roman.
- Un cambrioleur trouve des vêtements couverts de sang séché dans l’appartement qu’il visite.
- Deux meurtres : un à Goteborg, l’autre à Londres, à Clapham, dans le sud de la capitale.Similitude : empreinte d’un gant trouvée à chaque lieu de crime et au même endroit.
- Le jeune anglais, Geoff Hillier, reçoit une lettre de Goteborg. Il a une correspondante suédoise depuis longtemps.
- 3e meurtre en direct.
- Enquête dans les clubs de strip-tease dans les milieux de la pornographie, de la prostitution masculine.
- Winter à Londres.
- Nouveau crime à Londres : un témoin indirect simple d’esprit. Winter enquête avec Macdonald.
L’enquête :
Méthode de travail de l’équipe comme si on y était :
« Winter leur avait demandé de se renvoyer la balle, comme toujours. C’était presque une thérapie, un monologue intérieur dont on aurait monté le son pour que chacun puisse l’entendre. Perpétuelle mise au point, au cours de la réunion quotidienne ; en vrac, l’ancien, le neuf, le plus récent, dans un grand déballage. Ils s’échinaient à polir les fragments de réalité, les données, les faits bruts, jusqu’à leur donner une forme qui permette de les emboîter enfin. »
Nombreuses scènes de réunions de l’équipe enquêtrice. Certaines étapes de l’enquête sont décrites, d’autres seulement évoquées :
« Rien de neuf au sujet des lettres ? On a eu une conversation avec la correspondante du premier garçon, comme vous le savez, mais rien de neuf. La fille n’a rien remarqué de spécial dans sa dernière lettre, sinon qu’il était content de venir à Goteborg. »
Originalité : enquête menée conjointement en Suède et en Angleterre où elle a ses ramifications, par le commissaire Winter et son collègue britannique, le commissaire Steeve Macdonald. A aucun moment nous ne pénétrons dans la tête du tueur. Le point de vue adopté par l’auteur étant celui des enquêteurs.
Les personnages :
Erik Winter : grand ; 37 ans ; devenu commissaire à 35 ans, le plus jeune de sa catégorie . Une sorte de dandy, coquet, se surveille car il veut rester beau. Il vit seul dans un grand appartement de 136 m2, a de l’argent ; personne sensible ; aime la musique de Coltrane.
Sa méthode de travail : « J’ai besoin de me tenir dans la chambre où c’est arrivé, d’arpenter les rues voisines. »
Ses pensées, ses dérives :
« Quand les sax ténor de Coltrane et de Pharoah Sanders errent chacun sur son chemin de folie, ce n’est qu’un bout de chemin en route vers la totalité. C’est comme la mer, pensa-t-il, comme les vagues qui cassent en surface, mais la mer est toujours une, toujours en mouvement. Si je veux résoudre cette affaire, je dois penser dans la dissonance, l’asymétrie ; ici il n’y a rien de correct. »
« Il était retourné dans les deux chambres, avait revécu les derniers instants de ces garçons. C’était il y a deux jours. Il avait choisi différents itinéraires pour s’y rendre, médité sur les environs, passé du temps dans les chambres, rebroussé chemin avec lenteur. Et après ? Quel chemin avait pris le tueur ? Winter passa la main sur sa poitrine, éprouva la douceur du lit, se souvint : il s’était tenu sur le perron du foyer étudiant à contempler le quartier. Après un moment, il avait cru voir un grand sac porté à bout de bras disparaître au coin de la rue. Il avait éprouvé une tension dans la crâne et fermé les yeux. Quand il les rouvrit, il n’y avait plus rien à voir. Il savait que c’était à l’angle, dans la direction d’Eklandagatan. »
« La mort l’accompagnait dans ce voyage. Il éprouva ce qu’il avait déjà senti au début de l’enquête : ce n’était qu’un début. La suite était sans paroles, indescriptible dans sa cruauté. Peu importe la direction qu’il choisissait, l’enfer l’attendait au bout. Il était seul. »
Plongée dans la vie quotidienne de Winter, ce qui rend son personnage plus accessible :
« Winter emporta le courrier dans la cuisine et le laissa sur la table. Il déposa les deux sacs en plastique du marché couvert de Saluhallen à côté de l’évier et déballa ses achats:du turbot, une aubergine, un poivron jaune, une courgette, quelques tomates, cent grammes d’olives kalamata, du thym et du basilic frais. »
« Une fois dehors, il attrapa la pelle et entame la croûte qui recouvrait la neige comme un couvercle gelé. Il déblaya l’allée jusqu’à la voiture. Cet été, je construirai un abri, si j’arrive à dénicher du bois pas trop cher. Il débarrassa la carrosserie des couches de neige superficielles, mais quand il voulut ouvrir la portière pour prendre le racloir, la clé refusa d’entrer dans la serrure, même d’un millimètre. Il resta comme un benêt à regarder par la vitre la burette d’huile rangée dans le compartiment de la portière opposée. »
Les autres personnages :
- Commissaire Bertil Ringmar.
- Commissaire Steeve Macdonald.
- Lotta, sœur d’Erik, médecin, divorcée, a racheté la maison de leurs parents.
- Per Malmström : victime, fils des voisins de Lotta ; assassiné à Londres.
- Janne Mollerström : policier, procédurier.
- Lars Bergenhem : inspecteur ;
- Martina : femme de Lars.
- 2e victime : un garçon anglais venu étudier le suédois et l’ingénierie à Goteborg.
- Aneta Djanali : enquêtrice.
- Hanne Ostergaard : pasteur, mi-temps à la police, 35 ans.
- Hans Bulow : journaliste.
- Pia Erson Froberg : légiste.
- Fredrick Halders : inspecteur, 44 ans, cheveux rasés ; co-équipier d’Aneta.
- Birgarsson : chef.
- Jamie : 3e victime, anglais, barman à Goteborg.
- Petra Allthoff : correspondante suédoise.
- Sara Hellander: policière.
- Angela : petite amie d’Erik.
- Cohen : spécialiste des interrogatoires.
- Beckmann : témoin qui a vu Jamie monter son escalier avec un homme.
- Bolger Johan : patron de bar ; Erik et lui se connaissent depuis le lycée.
- Christian Jaegerberg : noir à Londres, copain avec un Peter suédois de Goteborg.
Goteborg, où se situe l’action de ce roman, est la deuxième ville de Suède,au sud-ouest du pays, sur la côte occidentale face à la pointe nord du Danemark, entre terre, mer et montagne. Décor magique, presque idyllique qui s’effrite sous la plume d’Ake Edwardson qui dévoile son côté sombre, la nostalgie d’un rêve suédois qui aurait tourné au cauchemar.
Très bonne connaissance de Londres : « Macdonald prit Croydon Road vers le nord-ouest, par Mitcham, Morden , Merton, puis Kingston Road vers l’ouest, par Streatham jusqu’à Wandsworth et Clapham. Des kilomètres de maisons accolées en brique rouge ou grise, des parcs, des écoles, des magasins qui surgissaient soudain par grappes et des routes transformées en rues latérales. »
Mon avis :
Ake Edwardson a été qualifié de » successeur » d’Henning Mankell. Je n’irais pas jusque-là…bien qu’il fasse preuve de maîtrise dans la peinture des personnages récurrents ou secondaires, ainsi que la mise en scène de la ville de Goteborg, où se déroulent nombre de ses intrigues. Son style est plus épuré, plus « léger », dans le sens où, en dépit de fréquentes et parfois sévères mises en garde concernant l’avenir de la Suède moderne, sa vision est moins pessimiste, moins désespérée que celle de ses confrères, en tout cas dans les premiers épisodes de la série.
Le personnage du commissaire Erik Winter, dandy fan de jazz, est un peu plus atypique que ses collègues littéraires: il a moins tendance à broyer du noir, sans doute grâce à une vie privée plus équilibrée que celle de Kurt Wallander ou de Martin Beck; bien que le doute ne l’épargne pas, ni les états d’âme quand Angela, sa compagne, le met au pied du mur, il fait preuve de plus de fantaisie, d’une vision moins pessimiste de sa propre destinée, de celle de son pays.
Bien sûr, Ake Edwardson se révèle un fin observateur de son époque ; mais sa vision est plus nuancée, plus discrète, la critique sociale est diffusée dans ses romans par petites touches. Les crimes sont tout aussi horribles mais résultent plus d’esprits pervers que de graves dysfonctionnements de la société moderne, contrairement à Mankell qui a tendance à imputer la responsabilité à la déliquescence de la Suède moderne.
Edwardson nous offre un autre point de vue, tout aussi passionnant et instructif…
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