La Conspiration Hongroise est un roman érudit, truffé de précisions tant historiques que culturelles et politiques harmonieusement intégrées au récit.
Présentation Éditeur
Paris, printemps 1909. L’inspecteur Lerouet est confronté à un cadavre anonyme retrouvé poignardé en pleine rue, l’obligeant à faire appel à son vieil ami Hippolyte Salvignac et à Léopoldine, sa compagne, artiste peintre à la sensualité débordante. Au fil de leurs investigations, ce trio d’enquêteurs exhume un mystérieux complot politique aux ramifications internationales, alors que se multiplient les assassinats dans la communauté des artistes hongrois exilés en France. Au moment même où Clemenceau perd le pouvoir, réussiront-ils à sauver l’Europe de la catastrophe ? Leurs aventures vont les mener jusqu’à la Vienne de Klimt et de Freud, à la découverte de la capitale de toutes les audaces intellectuelles et artistiques de la Belle Epoque, où se cache la clé de l’énigme.
L'avis de Cathie L.
La Conspiration Hongroise a été publié par les éditions De Borée le premier trimestre 2021. La plume de Philippe Grandcoing est élaborée sans être précieuse, utilisant un vocabulaire varié et recherché, des tournures de phrases bien construites, conférant au roman son style musical et cultivé inimitable :
« Même si Marie, sa vieille cuisinière, n’était plus aussi alerte qu’auparavant, elle continuait à régner sur ses fourneaux, ne transmettant qu’avec parcimonie ses secrets culinaires à la jeune servante qui la secondait désormais. L’élaboration du menu avait fait l’objet d’âpres négociations, le maître des lieux tenant à épater ses convives, tandis que Marie rappelait les impératifs de l’approvisionnement et les contraintes horaires. En définitive, et comme toujours, il était obligé de passer sous les fourches caudines de la domesticité. Mais il prenait sa revanche en choisissant en monarque absolu les vins qui accompagneraient les plats. » (Page 56).
Sens de la description :
« L’immeuble de Léopoldine donnait sur les toits de Saint-Julien-le -Pauvre et la vue ne s’étendait guère au-delà des immeubles en vis-à-vis, où l’on devinait toute une vie grouillante de locataires plus ou moins miséreux. Mais, si l’on se penchait à l’extérieur et que l’on regardait vers la droite, on parvenait à voir les deux tours de Notre-Dame écrasant la ligne fragile et irrégulière des toitures, où se mêlaient vieilles tuiles moussues et zincage moderne. » (Pages 164-165).
Thèmes: montée des nationalismes, antisémitisme, tout en abordant le sujet de la place des femmes dans une société non encore affranchie de ses préjugés en la matière :
« Je comprends ta réaction d’hier soir. On n’a pas encore l’habitude que nos femmes veuillent s’émanciper. Quand je vois Madeleine aussi bien mener sa barque à L’Auberge de la Vierge, je suis admiratif mais aussi un peu jaloux et même inquiet. Que deviendrons-nous si elles finissent par ne plus avoir besoin des hommes ? » (Page 85).
Bien qu’il fasse officiellement partie des brigades mobiles, le commissaire célestin Hennion avait insisté pour que Lerouet vienne en renfort de l’équipe des policiers parisiens dans l’enquête sur le meurtre d’un inconnu, retrouvé poignardé dans le 8e arrondissement, quartier plutôt calme en temps ordinaire. Tout indique que l’homme appartient à une certaine élite de la société: mains soignées, dentition saine, barbe et chevelure taillées avec soin, vêtements réalisés dans des tissus de qualité, sans doute par un tailleur sur mesure, du linge de corps marqué. La police penche pour un riche voyageur.
Peut-être étranger si l’on en croit le curieux message que Lerouet retrouve dissimulé dans le chapeau du mort, rédigé en magyar. D’emblée, ses investigations s’avèrent compliquées: « l’inspecteur savait d’expérience que dans les beaux quartiers on ne coopérait pas guère avec la police, soit par convictions politiques, soit par conventions sociales. Il n’était guère de bon goût de s’abaisser à répondre aux questions d’un enquêteur. D’autant quand il s’agit de vieux noms de l’aristocratie, « la crème du Bottin mondain, où même le chef de la Sûreté ne saurait enquêter.
Or, il s’avère qu’un important visiteur du nom de Jager, attendu par le chef du gouvernement Clémenceau, ne s’est pas présenté à l’heure dite. L’homme se disait détenir des informations concernant une affaire internationale susceptibles d’intéresser le chef du gouvernement au plus haut point. Or, aucun voyageur du nom de Jager n’a été signalé à Paris ces dernières semaines.
C’est alors qu’un autre Hongrois se fait assassiner à coups de couteau! Un lien avec le premier meurtre? Léopoldine, désireuse d’aider Lerouet dans son enquête, décide de jouer les infiltrées afin d’en savoir plus sur les membres de La Hongrie Libre, contre l’avis de Salvignac. Mais la jeune femme n’en a cure !
Considérant l’Autriche comme un ennemi potentiellement capable de renverser le fragile équilibre de l’Europe centrale et de menacer la paix internationale, Clémenceau confie à Salvignac la délicate mission de recueillir le maximum d’informations concernant le milieu Austro-Hongrois parisien, d’en savoir plus sur un éventuel complot international ayant des ramifications jusqu’en France, sans éveiller les soupçons. Les cadavres de Hongrois jonchent la route de Lerouet et de ses acolytes. Les trois amis parviendront-ils à déjouer la terrible menace à temps?
L’empire austro-hongrois : suite au compromis de 1867 dans lequel l’empereur François-Joseph instaurait un système de double monarchie: à l’ouest, les territoires sur lesquels il règne en tant qu’empereur (l’Autriche, la Bohême-Moravie, l’Istrie, la Dalmatie et la Galicie ); à l’est, le royaume de Hongrie dont il est le roi. Le problème de la Hongrie au début du vingtième siècle est que le gouvernement centralisateur tente d’imposer à tout le royaume l’usage du magyar, ou du hongrois, sans tenir compte de la majorité des habitants pour lesquels ce n’est pas la langue maternelle. En réalité, l’empire n’est qu’un « échafaudage baroque, unique, fragile et extraordinairement complexe » de par son système politique.
Sa fragilité vient du fait que la double monarchie menée par l’empereur est confrontée aux revendications nationalistes de plus en plus virulentes des nationalités qui la composent. A cela s’ajoute le fait que les Italiens supportent de plus en plus mal leur alliance avec l’Autriche. C’est dans ce contexte qui peut devenir rapidement explosif que l’inspecteur Lerouet enquête sur l’assassinat d’un ressortissant hongrois sur le sol français.
Situation en Europe en 1909 : une analyse fine et très bien documentée permet au lecteur moderne de mieux comprendre le contexte politique à l’aube de la première Guerre mondiale, et ainsi appréhender au mieux les conditions dans lesquelles Salvignac et ses amis mènent leurs investigations :
« D’autres ont envie que les choses bougent et ils pensent que l’Autriche a une nouvelle carte à jouer dans les Balkans. L’Empire ottoman est au plus mal et notre allié russe, après sa défaite humiliante face au Japon, inquiète moins. Du coup, les partisans de la ligne dure prétendent qu’il est grand temps de régler la question des Slaves du Sud en faisant plus lourdement peser la main de Vienne sur ces territoires. Le comte d’Aerenthal, le ministre des Affaires étrangères, est leur porte-parole. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre l’annexion de la Bosnie-Herzégovine l’an dernier. Et lorsque François-Joseph sera mort, ce sera pire encore. François-Ferdinand est beaucoup moins enclin au statu quo. Il va nous causer une guerre celui-là, un jour ou l’autre… Ajourd’hui, au Quai d’Orsay comme au ministère de la Guerre, on voit l’Autriche comme un ennemi. Nous finançons la construction des chemins de fer russes et la modernisation de l’armée serbe pour que le jour où cela sera nécessaire nos alliés puissent la vaincre. » (Page 111).
Situation en France: contexte politique extrêmement délicat avec la montée des groupes royaliste, bonapartiste qui tentent de mobiliser la rue avec des ligues usant de la violence pour se faire entendre : « Il expliqua à Salvignac qu’à la Sûreté des agents avaient pour mission d’infiltrer les groupes politiques qui pourraient représenter un danger pour le régime… » (Page 150).
Année 1909. Grâce à une documentation soignée et très précise sans être envahissante, Philippe Grandcoing nous donne une leçon d’histoire éclairante et passionnante sur une période de notre histoire agitée dont il est parfois difficile de saisir tous les tenants et les aboutissants. Au cours de conversations entre les protagonistes, le lecteur pénètre plus avant dans la politique de l’époque, ce qui rend le récit vivant et agréable.
Le + : une bonne connaissance du monde l’art et de la culture, de l’architecture, de la peinture, distillant par endroits des anecdotes, des précisions tel que le leg que le peintre Gustave Moreau fit à l’Etat.
Le ++ : les points réguliers sur l’avancée de l’enquête et les indices collectés par Lerouet, Léopoldine et Salvignac.
La Conspiration Hongroise est un roman érudit, truffé de précisions tant historiques que culturelles et politiques harmonieusement intégrées au récit. Une passionnante leçon d’histoire de la situation en Europe quelques années avant la seconde guerre mondiale. Philippe Grandcoing, comme à son habitude, nous offre avec son oeuvre riche et complexe, une lecture intelligente et éclairante de cette période trouble. L’enquête, mettant à profit les dernières innovations en matière d’investigation policière, est tout aussi captivante.
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