Interview de l’autrice Géraldine Sommier-Maigrot

Rencontre avec l’autrice Géraldine Sommier-Maigrot, pour son roman « La ronde des menteurs » aux éditions Les Presses Littéraires

Géraldine Sommier-Maigrot

Jérôme PEUGNEZ : Bonjour Géraldine Sommier-Maigrot, pouvez-vous me décrire votre parcours ?

Géraldine SOMMIER-MAIGROT : Mon parcours est jalonné par deux tendances a priori contradictoires mais qui en fait se complètent très bien. J’ai fait des études scientifiques qui ont débouché sur un poste d’ingénieur dans la navigation aérienne, d’abord à Paris, puis à l’aéroport de Lyon. C’est un métier essentiellement technique, ancré dans le matériel et dans l’action en temps réel. Et moi, j’aime créer, j’aime rêver, malgré la rigueur que demande mon travail. D’où ce besoin d’écrire qui est devenu une passion dont j’aurais du mal à me passer.

JP : Quelles étaient les lectures de votre enfance ?

GSM : Mon enfance a été gavée aux romans d’Agatha Christie et à ceux de Jane Austen, deux romancières anglaises qui ont marqué profondément mon univers littéraire. Avec Agatha Christie, j’ai découvert l’art d’embrouiller les pistes, j’adorais me laisser mener en bateau, tout en essayant de découvrir le coupable. Tout cela dans cette atmosphère délicieusement mondaine de l’Angleterre du début du XXème siècle. Avec les romans de Jane Austen, je me suis plongée avec délice dans un univers romanesque où les jeunes filles de bonne famille parlent mariage et vie sentimentale, et s’affrontent lors de dialogues étincelants, teintés de cette touche burlesque si particulière à l’auteure. Un régal !

JP : Comment vous est venue l’envie d’écrire ? A quelle période ?

GSM : J’ai toujours pris plaisir à jouer avec les mots. Quand j’étais petite, j’écrivais des poèmes, j’adorais me triturer le cerveau jusqu’à trouver des jolies rimes. J’écrivais aussi des petites pièces de théâtre, ainsi que des nouvelles. Je n’étais pas du tout dans le mode roman à l’époque. Le déclic s’est produit quand ma grand-mère, peu avant sa mort, a commencé à me parler de sa vie pendant la seconde guerre mondiale. Elle m’a montré les lettres que son mari, resté prisonnier en Allemagne jusqu’à la Libération, lui avait envoyées. Elle m’a raconté son quotidien pendant ces six années difficiles tissées de solitude et d’absence. J’ai été profondément émue, j’ai eu envie d’écrire là-dessus, faire un album souvenir à ma manière, avec mes propres mots. L’expérience m’a beaucoup plu, elle m’a prouvée que j’étais capable d’écrire une histoire longue et aboutie, et pas simplement sur quelques pages. J’ai donc continué à écrire, cette fois en puisant dans mon imaginaire personnel et dans mes expériences d’adulte, avec mes joies, mes désillusions, mes interrogations et mes peurs.

JP : Quel est votre « modus operandi » d’écriture ? (Votre rythme de travail : le matin, soir, combien de temps…)

GSM : Il faut du temps pour écrire. J’ai la chance d’avoir un métier en décalé, qui m’occupe beaucoup la nuit, les matins de bonne heure ou les après-midis, les week-ends aussi. En contrepartie il me laisse du temps libre en journée pendant la semaine. J’en profite alors pour m’immerger dans mon histoire. J’ai besoin d’être en total accord avec mes personnages, de pouvoir me concentrer sur eux. Si j’arrive à grappiller plusieurs heures à la suite, c’est l’idéal. Ce n’est évidemment pas facile et pas toujours compatible avec la vie de famille. Quand je suis dans la phase de rédaction de mon roman, j’écris aussi beaucoup les soirs. Ecrire me tient éveillée et j’avoue que j’ai alors du mal à quitter mes personnages, je suis tellement bien avec eux que j’ai envie de rester.

JP : Lorsque vous écrivez la première ligne de votre livre, en connaissez-vous déjà la fin ?

GSM : Avant de commencer à écrire la première ligne d’un nouveau livre, je travaille d’abord la trame dans ma tête. J’établis un scenario de base, assez évasif, et nullement figé. Mais j’en connais le début et je connais la fin. Dès que l’idée d’une nouvelle histoire me trotte à l’esprit, je sais où elle va me mener, mais je ne sais pas toujours par quel biais je vais y arriver. C’est là où l’improvisation et le travail d’écriture prennent toute leur saveur, quand les personnages m’entraînent dans une direction qui n’est pas forcément celle à laquelle j’avais pensé au départ et qu’ils me forcent à faire travailler mon imagination à plein régime pour retomber sur le dénouement voulu.

JP : Pouvez-vous nous parler de votre roman « La ronde des menteurs » aux éditions Les Presses Littéraires ?

GSM : « La ronde des menteurs » est un polar atypique, à la fois intimiste et social, qui s’interroge sur les dangers des mensonges lorsqu’ils se retournent contre leur instigateur.

J’avais depuis longtemps envie d’écrire une histoire basée sur des personnages faisant des mensonges une habitude de vie. J’ai donc créé une héroïne qui n’a pas le courage de dire non à ses engagements et préfère s’inventer des excuses pour ne pas les honorer. Ces faux prétextes, qui ne prêtent pas à conséquence, pense-t-elle, se retournent contre elle le jour où deux crimes sont commis dans son village. En tant que femme de la première victime et bénévole dans l’association présidée par la seconde, elle semble la suspecte idéale. Parce qu’elle a menti, les gendarmes chargés de l’enquête la soupçonnent et ne croient à rien de ce qu’elle prétend. Seulement est-elle coupable ?

D’autres suspects, d’autres menteurs sont en lice, d’autant plus nombreux que dans le village s’activent les préparatifs d’un festival artistique qui révèlent d’inquiétantes ambitions cachées.

Ce qui, je pense, donne un point de vue original à cette histoire, et lui confère un rythme qui tient le lecteur en haleine, c’est qu’elle est vécue du point de vue de l’héroïne, les policiers restant en retrait. C’est par elle et pour elle que tout arrive, jusqu’au dénouement final, tout à fait inattendu.

Geraldine Sommier-Maigrot - La ronde des menteurs
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Dans votre roman, y a-t-il des personnages qui existent vraiment, dont vous vous êtes inspirée ?

GSM : Mes personnages sont créés de toutes pièces par rapport à l’histoire que j’ai envie de raconter. « La ronde des menteurs » traitant des mensonges et de leurs conséquences, j’ai imaginé une héroïne affabulatrice, qui ne se gêne pas pour s’affranchir de certaines contraintes mais s’enlise dans des mensonges sans fin. Certes elle nous ressemble. Qui n’a en effet jamais menti pour échapper à une corvée en prétextant avoir piscine, ou la migraine? Elle nous ressemble mais elle est en même temps unique. En face d’elle, pour que mon histoire prenne forme, il me fallait une présidente d’association dominatrice et envahissante, suffisamment antipathique pour s’attirer les rancoeurs de son entourage, jusqu’à sa mise à mort. Il me fallait aussi des suspects, avec des mobiles plausibles, afin de nourrir mon intrigue. C’est ainsi que j’ai eu l’idée de la sœur adultère et de la trésorière ambitieuse, pour ne citer qu’elles. Chaque trait de caractère de mes personnages enrichissant mon histoire, je les invente en fonction de ce que j’ai envie de dire.

JP : Le parcours a t-il été long et difficile entre l’écriture de votre roman et sa parution ?

GSM : L’élaboration d’un roman ressemble à une aventure en plusieurs étapes. La première étape, c’est l’écriture, dans laquelle on donne tout ce qu’on a. On y travaille des semaines, des mois. L’histoire avance, chapitre après chapitre, jusqu’au dénouement final. Le manuscrit est alors terminé, il est corrigé, il a été lu et relu. Est-il bien? Va-t-il plaire? Ces questions se bousculent dans notre tête, l’incertitude commence, et avec elle l’attente, exaspérante, usante. Cette attente des réponses des maisons d’édition est douloureuse car elle oblige l’auteur à s’arrêter dans son élan créateur, alors que l’histoire qu’il vient de raconter n’est pas achevée, puisqu’elle n’en est qu’au stade du manuscrit. Le bout du voyage, c’est quand l’histoire se retrouve à l’abri entre les pages d’un livre, avec une belle couverture qui lui correspond. Mais en attendant, l’élan est brisé, il faut passer à autre chose.

J’ai envoyé mon manuscrit à plusieurs maisons d’éditions. Certaines ont annoncé franchement que si je n’avais pas de réponse dans les quatre mois, cela voulait dire qu’elles le refusaient. Un peu glaçant comme accueil : Quatre mois d’espoirs à attendre chaque jour une réponse… Je me suis plongée dans l’écriture d’un nouveau roman, pour compenser, déçue tout de même de laisser l’autre en suspens, comme s’il m’échappait.

J’ai reçu au bout de longues semaines des réponses standardisées qui m’avisaient que mon manuscrit ne correspondait pas à leur ligne éditoriale actuelle, qu’ils étaient surchargés de demandes. Et puis un jour l’éditeur des Presses Littéraires m’a contactée. Mon histoire lui plaisait, il voulait la publier, il aimait mon style. A partir de là, l’aventure s’est envolée, tout est allé très vite. J’ai signé le contrat, on a travaillé ensemble sur la couverture, la mise en page, les corrections. C’était passionnant de retrouver mon texte après tous ces mois en lui attribuant cette fois une enveloppe, et donc une légitimité en tant que livre à paraître.

JP : Avez-vous reçu des remarques surprenantes, marquantes de la part de lecteurs, à propos de vos livres ?

GSM : Les remarques qui m’ont le plus touchée sont celles où les lecteurs me remercient de leur avoir fait passer un très bon moment et m’encouragent à continuer à écrire parce qu’ils ont hâte de lire le prochain. Ce genre de reconnaissance fait chaud au coeur. J’ai reçu aussi des remarques plus pertinentes à propos de ma construction, claire, précise, et rythmée ; sur ma recherche des mots justes et sensibles; sur mes personnages bien cernés. Ces avis font du bien car ils me donnent confiance en ma légitimité d’auteur.

La cerise sur le gâteau, je l’ai reçue de la part d’une lectrice qui, auteure elle aussi, a trouvé mon écriture ciselée et originale, et pensait qu’il y avait de l’Agatha Christie en moi. Quel beau retour pour une ancienne petite fille dévoreuse des romans de la reine du crime!

JP : Avez-vous d’autres passions en dehors de l’écriture (Musique, peinture, cinéma…) A part votre métier, votre carrière d’écrivain, avez-vous une autre facette cachée ?

GSM : Parallèlement à l’écriture, mon autre passion est son pendant, la lecture. Les livres sont pour moi à la fois une source d’évasion et une source de connaissances, que j’apprécie d’avoir sous la main, pour passer un bon moment, ou en cas d’insomnie. Je lis toutes sortes de livres, des romans historiques, des romans plus initiatiques, des comédies, des polars: j’alterne. Ce qui compte, c’est de m’évader et d’aller à la découverte d’autres univers. Je suis une grande rêveuse finalement, j’ai besoin de m’évader. J’aime donc aussi beaucoup le cinéma, même si je préfère l’évasion plus lente et plus profonde que me procurent les livres. Mais je ne résiste pas au plaisir de me plonger de temps en temps dans l’histoire racontée par un film, plaisir dense, magnifiquement visuel, qui peut aussi prendre aux tripes et bouleverser.

Ma vie de loisirs tient donc beaucoup dans l’évasion et l’imaginaire, ma vie professionnelle fait davantage appel à la rigueur et à la prise de décision rapide. La troisième facette de mon caractère me pousse à me plonger dans les échanges sociaux, parce que je suis curieuse, j’aime rencontrer des gens et partager avec eux. J’essaye donc de m’investir dans la vie locale de mon village. J’ai d’abord fait partie pendant plusieurs années d’une association multiculturelle, en tant que trésorière. Et depuis bientôt un an, je suis conseillère municipale, je participe notamment à la commission culture et communication, ainsi qu’à la commission enfance et sports. C’est une expérience très enrichissante, qui m’apporte beaucoup au point de vue humain.

Le petit plus : Portait chinois

Si vous étiez un personnage de fiction ?
Je serais « Elizabeth Bennet », l’héroïne d’Orgueils et Préjugés de Jane Austen. J’admire son esprit de répartie, sa vivacité et son ironie, un peu le contraire de moi en fait. Je suis plutôt du genre à me réveiller un quart d’heure après la fin d’une discussion, et à me gourmander en pensant: mais c’est ça que j’aurais dû dire, bon sang.

Si vous étiez un livre ?
« Le petit garçon qui voulait être Mary Poppins », une pépite, le genre de livre que j’aurais bien aimé écrire.

Si vous étiez un film ?
« Le diable s’habille en Prada ». Le film magique pour remédier aux baisses de moral.

Si vous étiez un mot ?
« Bonheur », parce qu’il englobe tous ceux qui comptent.

Si vous étiez une destination ?
« Bora Bora », la destination de rêve, dans une hutte au bord de l’eau turquoise, avec un bon livre évidemment.

Si vous étiez une mauvaise habitude ?
« Couper la parole aux gens », ce qui est tout le contraire de ce que je fais, mais au moins, cela montrerait que les mots sont capables de jaillir de ma bouche à la vitesse de la lumière, et pas un quart d’heure après le moment opportun…

JP : Avez-vous des projets ?

GSM : Je viens de signer un contrat pour un nouveau roman, et je travaille donc en ce moment à ce que sa sortie se passe au mieux. Il s’intitule « Le coq ne chantera plus » et paraîtra normalement au mois de mai. S’y croisent au fil des pages un coq trop matinal, un enfant maladivement réfugié dans le monde des peluches, une femme battue, une autre incapable de trouver sa place auprès de sa famille. Les sorts du coq et du mari se régleront à coups de pierres, et ne laisseront personne indemne.

Tourne aussi dans ma tête l’histoire d’une libraire qui va perdre la vue et se retrouvera confrontée à un monde inconnu et hostile qui n’a plus rien de commun avec ce qu’elle aimait. C’est là un thème que j’ai besoin d’aborder afin d’exorciser la peur qui reste tapie en moi, la peur de devenir aveugle alors que mon monde, mon métier, mes loisirs, toute ma vie, sont basés sur le visuel. Le combat de cette femme, ce sera le mien, je me projetterai beaucoup en elle.

JP : Quels sont vos coups de coeur littéraires ?

GSM : J’en ai deux qui me viennent immédiatement à l’esprit, sans la moindre hésitation :

« Le petit garçon qui voulait être Mary Poppins » d’Alejandro Palomas, pour sa tendresse bouleversante qui m’a comme ramenée à l’âge si innocent de l’enfance et qui chante l’amour, les rêves, le vide, la puissance de l’imaginaire.

« L’ombre du vent » de Carlos Ruiz Zafron qui entraîne le lecteur dans la Barcelone de l’après-guerre, une Barcelone insolite, cauchemardesque, noyée sous la brume et la pluie. Dans ce récit initiatique aux allures de thriller, les mots, forts, sensibles, poétiques souvent, claquent.

JP : Une bande son pour lire en toute sérénité votre roman « La ronde des menteurs » ? A moins que le silence suffise ?

GSM : Pour s’accompagner au début du roman, la chanson « Le dîner » de Bénabar s’impose comme une évidence, tellement elle colle à la peau de mon héroïne et la reflète au mieux pour son entrée en scène. J’enchainerai ensuite avec du Muse, « Uprising », pour accompagner les préparatifs éprouvants du festival artistique. Et « Feeling good » quand les meurtres entrent en scène. Pour souligner la souffrance, les découvertes qui font mal, l’insupportable solitude: « L’âme dans l’eau » de Mylène Farmer, « Je respire comme tu mens » de Corson, « Comment est ta peine » de Benjamin Biolay. « Graffiti on the train » de Stéreophonics. Bear’s Towers’s avec « The River » ou « Tide and Shore ». Coldplay avec « Trouble ». Quand le coupable enfin se dévoile, il faut de la puissance, de l’énergie: « Fade away » de Yodelice me semble parfait. Le festival peut commencer.

JP : Avez-vous un site internet, blog, réseaux sociaux où vos lecteurs peuvent vous laisser des messages ?

GSM : J’ai un site internet qui met en scène mon univers littéraire, et que je fais évoluer chaque semaine ou quinzaine, au gré de mes rencontres, de mes actualités et de mes écrits, poèmes, romans ou articles : https://www.geraldinerevesecriture.fr

Vous pouvez me laisser des messages sur le site, j’en serai ravie, et aussi sur ma page Facebook : @geraldinesommiermaigrot

JP : Merci Géraldine Sommier-Maigrot d’avoir pris le temps de répondre à mes questions.


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Jérome PEUGNEZ
Jérome PEUGNEZ
Co-fondateur de Zonelivre.fr. Il est le rédacteur en chef et le webmaster du site.

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