Maurizio DE GIOVANNI : Inspecteur Lojacono – 03 – Et l’obscurité fut

Italie

INFOS ÉDITEUR

Maurizio DE GIOVANNI - Commissaire Lojacono - Et obscurite fut
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Parution aux éditions Fleuve en avril 2016

Parution aux éditions 10/18 en février 2017

Traduit par Jean-Luc DEFROMONT

À l’image de Naples, écrasée par la chaleur d’un mois de mai estival, le commissariat de Pizzofalcone baigne lui aussi dans une atmosphère étouffante. En effet, l’équipe se débat avec un cas difficile : l’unique petit-fils d’un riche entrepreneur napolitain, aussi respecté que détesté, a été enlevé.

La demande de rançon ne se fait pas attendre, toutefois, entre la mère révoltée contre l’autorité paternelle, le beau-père  » artiste endetté  » ou la secrétaire diffamée du patriarche, tout le monde semble avoir de bonnes raisons de vouloir toucher le magot. L’enquête, menée par Romano et Aragona, progresse à tâtons, tandis que Lojacono et Di Nardo sont chargés d’une  » simple  » histoire de vol dans un appartement. À première vue, aucun lien ne semble exister entre les deux affaires.

Mais à l’instar des ruelles napolitaines, chaque découverte en fait resurgir une nouvelle…

(Source : 10/18 – Pages : 360 – ISBN : 9782264070630 – Prix : 8,10 €)

L’AVIS DE CATHIE L.

Et l’obscurité fut, dont le titre original Buio per i bastardi di Pizzofalcone est paru en Italie en 2013, traduit par Jean-Luc Defromont (tout comme les deux précédents), a été publié en France en 2016 par les éditions Fleuve Noir, et réédité en 2017 par les éditions 10/18 dans la collection « Grands Détectives ».

Dans ce troisième opus de la série mettant en scène l’inspecteur Lojacono, Maurizio de Giovanni continue d’explorer les tréfonds de la ville de Naples, cette fois en racontant une lamentable histoire d’enlèvement et d’un banal cambriolage, sur fond de crise économique et de désespoir, montrant avec sa dextérité habituelle que derrière la plus jolie façade se cachent les pires instincts, réduisant en miettes les sentiments les plus nobles, transformant les êtres en des redoutables prédateurs. Comme l’ont constaté les plus grands philosophes des siècles passées, notamment Erasme, Francis Bacon ou Hobbes « Homo homini lupus est », ce qui signifie « L’homme est un loup pour l’homme », locution on ne peut plus pessimiste…

Le style : dès les premières pages, le ton est léger, l’ambiance est décontractée, avec beaucoup d’humour :

« -Président, si je ne t’avais pas parlé, tu ne te serais même pas rendu compte de ma présence. Ô vieillesse ennemie!… Le plus âgé et le plus jeune du commissariat adoraient se titiller, l’un sur le ton d’un professeur ayant affaire à un élève attardé, l’autre en ramenant systématiquement sur le tapis le sujet de la démence sénile. » (Page 13)…

Ou quand Aragona se moque gentiment de Romano, surnommé « Hulk » à cause de son caractère impulsif et emporté :

« Eh! Hulk ! Ton surnom, ils te l’avaient déjà donné dans ton ancien commissariat, non ? Et maintenant, tu vas te foutre en rogne, devenir tout vert et arracher ta chemise. » (Page 16).

Cependant, la langue est riche, imagée, presque poétique par moments, surtout lorsque l’auteur décrit la ville.

Pour autant, il ne faut pas s’y tromper : Et l’obscurité fut est un roman sombre, sans aucune illusion sur la présence du Mal parmi les humains… Alors que les ténèbres les plus noires s’emparent de leur cœur et de leur âme, à l’image des flics ripoux qui ont entavé la réputation du commissariat de Pizzofalcone. De ce fait, le récit alterne ces passages légers avec des passages plus graves, braquant ses projecteurs sur la détresse et la misère humaines, que l’on peut croiser à chaque coin de rue, sous n’importe quelle forme, sans distinction de sexe, d’âge ou même de classe sociale.

L’histoire du commissariat constitue à elle seule un récit dans le récit: c’est pour remplacer les quatre flics ripoux destitués l’année précédente que Aragona, Romano, Di Nardo et Lojacono ont été nommés à Pizzofalcone ; avec pour premier défi de redorer son blason, et surtout d’honorer la confiance toute relative accordée à Palma par la préfecture centrale en obtenant des résultats tangibles, faute de quoi le commissariat serait définitivement fermé.

« En effet, si la police entière de la ville les désignait ainsi ( « i bastardi, en italien, ce qui signifie « les salauds »), c’était à cause des quatre collègues du commissariat qui s’étaient fait pincer pour trafic de cocaïne. Calabrese et Pisanelli avaient été les témoins directs de cette sale affaire (…)Le commissariat avait même été menacé de fermeture. Pour finir, l’enquête avait été close et les quatre brebis galeuses, que tout le monde appelait désormais les Salauds de Pizzofalcone, remplacés. Or leurs successeurs avaient hérité de cette étiquette insultante. » (Page 14)…

Avec pour mission officieuse de montrer une image positive de la police qui, avec cette affaire, en avait pris un sacré coup :

« Comme beaucoup de ses collègues qui luttaient du matin au soir, dans la douleur, contre la décomposition des rues et des ruelles sous l’action de leurs habitants, il (Palma) se sentit dégoûté, en proie à la colère. Ainsi, lorsqu’il apprit que le préfet avait l’intention de fermer le commissariat, admettant par là l’échec des forces de l’ordre, il se rebella et demanda à reprendre le poste. » (Page 19).

L’intrigue

En ce mois de mai, la canicule s’est abattue sur Naples comme la misère sur le monde. C’est alors que le commissaire Palma est informé de la disparition d’Edoardo Borrelli, âgé de neuf ans, petit-fils d’ Edoardo Borrelli senior, riche et influent entrepreneur napolitain, vieillard intraitable et acariâtre. Pendant que Romano et Aragona essaient d’y voir plus clair au sein de cette famille plus unie par la haine la dépendance matérielle que par l’amour, Lojacono et Di Nardo enquêtent sur un cambriolage plutôt louche survenu dans l’appartement du couple Parscandolo: pourquoi Lojacono a-t-il l’impression d’une mise en scène ? Et pourquoi Salvatore Pascandolo ment en déclarant que son coffre fort ne contient rien d’important ?

Malgré l’appel des ravisseurs, l’enquête piétine : malgré l’acharnement de Romano et d’Aragona qui se démènent tant qu’ils peuvent, aucun indice significatif ne fait surface. Et si, finalement, l’enlèvement du jeune garçon masquait un crime plus grave ? Tandis que Lojacono et Di Nardo soupçonnent la femme de Parascandolo de ne pas être aussi « blanche » qu’elle veut bien le faire croire, les « salauds » de Pizzofalcone vont devoir se serrer les coudes et user de toutes leurs ressources pour démêler l’écheveau inextricable de ces deux sordides affaires.

Les personnages

L’équipe du commissariat de Pizzofalcone, personnages récurrents que l’on apprend à connaître de mieux en mieux depuis l’enquête précédente, dont on pénètre les pensées intimes, les sentiments, les doutes et les certitude, un peu comme de nouveaux amis, ce qui les rend plus accessibles, plus attachants:

  • Marco Aragona : gardien de la paix stagiaire, fils d’une riche famille, pistonné par son oncle. « Torse bronzé aux UV et rasé, mis en valeur par une chemise à fleurs ouverte jusqu’à la pointe du sternum(…) sa banane à la Elvis lui servait à faire rehausser de quelques centimètres sa taille fort éloignée de celle d’un cuirassier et à camoufler la clairière qui s’élargissait dangereusement au sommet de son crâne. » (Page 13). En fait comme le dit lui-même son créateur, il est l’incarnation du mauvais flic goujat et égocentrique, fanfaron et politiquement incorrect…Portrait peu flatteur, mais on ne peut s’empêcher de l’aimer quand même…
  • Capitaine Giorgio Pisanelli : « le vieux capitaine savait tout ce qu’il fallait savoir sur la circonscription où il était né et avait toujours travaillé. Cet homme droit et sensible constituait une source d’information aussi solide qu’intarissable, qui compensait le fait que les autres membres de l’équipe étaient nouveaux dans le quartier. » (Page 20). Obsédé par une série de suicides qu’il juge suspects.
  • Ottavia Calabrese : chargée des relations avec la presse et de l’informatique du commissariat. En proie à des sentiments complexes concernant sa vie privée: « Tu sais, enfant sur l’écran, que ça m’arrive de plus en plus souvent de suffoquer? Peut-être à cause d’une insuffisance cardiaque, j’ai lu sur Internet que ça pouvait se manifester comme ça. A moins qu’il ne s’agisse tout simplement d’un sentiment de culpabilité. » (Page 85).
  • Giuseppe Lojacono : inspecteur, surnommé « Le Chinois » en raison de ses traits asiatiques ; originaire de Montallegro dans la province d’Agrigente en Sicile. Muté à Naples suite aux imputations jamais prouvées d’un repenti de la Mafia qui l’avait accusé de collusion, marque d’infamie impardonnable dans la police.  Palma  » avait reconnu son talent, son énergie, son zèle acharné et son investissement émotionnel, toutes qualités qu’il recherchait chez ses collaborateurs, indispensables pour bien faire ce métier. » (Page 20).
  • Alessandra di Nardo : seconde femme de l’équipe; aspect d’une jeune fille mince et douce mais est surnommée « Calamity » en raison de son statut de tireur d’élite ; 28 ans, vit chez ses parents.
  • Commissaire Luigi Palma : chef du commissariat. « Palma n’avait jamais aimé la facilité. Et il n’avait pas grand chose à perdre – mais ça, le préfet ne pouvait pas le savoir. En fait, la carrière l’intéressait bien moins que son implication professionnelle n’aurait pu le faire penser. La vérité était toute bête: il n’avait que ça dans la vie. » (Page 18)
  • Francesco Romano : massif, épaules larges, cou de taureau, mine patibulaire, surnommé « Hulk ».
  • Guida : policier chargé de l’accueil.

Les autres personnages:

  • Edoardo Cerchia : l’enfant disparu. « C’est un enfant doux, très sage, aux résultats et à la conduite exemplaires, malgré quelques traits un peu puérils…est resté très attaché à ses jouets. » ( Page 33).
  • Soeur Béatrice : institutrice à l’école d’Edoardo.
  • Soeur Angela : mère supérieure qui dirige l’école privée où Edoardo est scolarisé.
  • Eva Borelli : mère d’Edoardo ; « très apprêtée, avec une veste bleu sombre sur une robe bleu ciel assortie à la couleur de ses yeux, elle en impose. » Traits réguliers, grande bouche, nez refait qui laisse trop de vide dans son visage.
  • Salvatore Parascandolo : très gros usurier recherché par la police depuis des années, propriétaire d’une salle de sport pour couvrir ses activités illicites. Trop malin pour se faire prendre.
  • Susy Parascandolo : femme de Salvatore.
  • Manuel Scarano: compagnon d’Eva Borelli. Gérante de sa salle de sport.
  • Christian Datola : camarade d’Edoardo ; petit, grassouillet.
  • Alberto Cerchia : père d’Edoardo ; « bel homme d’une quarantaine d’années, assez grand de taille, au physique tonique et au teint hâlé. Ses temps grisonnantes et quelques rides autour des yeux trahissaient son âge, mais pour le reste, il faisait dix ans de moins. » (Page 92).
  • Edoardo Borrelli : père d’Eva, grand-père du petit Edoardo, un des hommes les plus riches et les plus influents de Naples.
  • Père Leonardo Calisi : ami de PIsanelli, curé de la Santissima Annunziata et supérieur du couvent franciscain annexe; de petite taille, des cheveux blancs et bouclés, yeux d’un bleu limpide, sourire malin et enjôleur; très aimé de ses ouailles; c’est un homme bon, généreux, qui avait fait de l’altruisme la règle d’or de sa vie dédiée à la compassion et à la miséricorde.
  • Marinella : fille de Lojacono ; silencieuse, renfermée, sujette à de longues phases d’introversion.

Les lieux

Comme dans les deux épisodes précédents, la ville de Naples joue un rôle de première importance, bien plus que celui de simple décor. On la voit souvent à travers le regard éberlué et souvent désappointé de Lojacono qui peine à comprendre la ville et , de ce fait, à s’y intégrer. « Il n’apprendrait décidément jamais à se déplacer en voiture dans cette ville: il fallait soit y être né, soit être fou, comme Aragona. » (Page 197)…

Même impression ressentie par Alberto Cerchia, père du petit Edoardo, originaire d’une ville du nord :

« Il sort sur le balcon pour fumer et réfléchir. La ville s’écoule au loin, le fleuve de voitures sur le front de mer, visible mais silencieux en raison de la distance. Cette ville est restée un étrangère pour lui, avec son chaos incompréhensible, ses accès de folie, son bruit incessant. » (Page 142).

Toujours avec un regard sur l’évolution de Naples, avec beaucoup de lucidité mais aussi une petite pointe de tendresse qui montre l’attachement profond de Maurizio de Giovanni pour sa ville, malgré ses défauts et ses faiblesses :

« Le déclin social du quartier avait soumis cet immeuble de famille, comme bien d’autres du voisinage, à un processus séculaire de dégradation. Au cours des dix dernières années, cependant, la crise immobilière et le besoin croissant de logements dans le centre avaient inversé la tendance, si bien que les constructions de cette zone recouvraient peu à peu leur prestige. Les graffitis avaient été grattés, les crépis refaits, les plate-bandes des cours anciennes ramenées par des mains expertes aux splendeurs d’antan. » (Page 26).

Mon avis

Avec cette troisième enquête de l’inspecteur Lojacono et de ses collègues du commissariat Pizzofalcone, De Giovanni est monté d’un cran. En effet, l’intrigue est efficacement mise en place, les enquêtes sont menées sur les chapeaux de roues par les policiers, au rythme de la ville toujours en éveil dans laquelle ils évoluent. Il suffit de fermer les yeux pour entendre le bruit des voitures et des scooters, pour sentir les odeurs de gaz d’échappement mêlées aux relents de la mer qui s’étalent au pied des collines, pour voir ces gens de toutes conditions se démener afin de tirer à soi une partie, si infime soit-elle, de la couverture qui recouvre les riches maisons bourgeoises.

Les personnages récurrents sont criants de vérité, même lorsque l’auteur dresse un portrait comique, presque caricatural avec notamment Aragona, le frimeur de service, ou Romano, le « dogue » du commissariat. Peu à peu, on les découvre aussi dans leur vie quotidienne, celle qu’ils ont une vie en dehors de leur travail, leur solitude, leurs problèmes de couple, d’argent aussi, montrant qu’ils ne sont pas des super-héros, mais des hommes et des femmes comme tout le monde, avec leurs qualités et leurs défauts. Ce qui les rend attachants, proches de nous, humains…

Dans ces romans très réalistes, Maurizio de Giovanni s’attache à montrer le dessous des cartes postales destinées aux touristes: Naples est  cité peuplée de gens qui aiment, qui souffrent, qui vivent et qui meurent comme partout ailleurs. On pourrait presque les comparer à une étude sociologique, analysant les travers et les manquements d’un pays si loin et en même temps si proche du nôtre, luttant pour se sortir du marasme de la crise qui accable toute l’Europe, pour se redonner de nouveaux repères et enfin aborder des rivages plus cléments…

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Ecrivain de romans historiques, chroniqueuse et blogueuse, passionnée de culture nordique et de littérature policière, thrillers, horreur, etc...

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