Introduction

Le roman policier est vaste et riche. Il continue à évoluer régulièrement. Un genre considéré pendant longtemps par certains comme une littérature de gare parfois même de la sous-littérature (même parmi certains libraires. Je l’ai vécu étant libraire spécialisée dans ce domaine depuis 2002). Mais c’est l’arrivée de Millenium qui va marquer un véritablement changement dans les mentalités. Cette série de romans policiers du suédois Stieg Larsson (qui est décédé avant même de découvrir le succès mondial de ses textes) a été publié par les Editions Actes Sud en 2006 dans la collection Actes Noirs créée à cette occasion. Des lecteurs, des journalistes, des professionnels du livre vont découvrir qu’il y a également dans cet univers des ouvrages de qualité, des pépites à lire et à partager.

Le roman policier est comme un jeu de sept familles, il renferme en son sein des catégories différentes (polar, thriller, suspense…) qui sont apparues ou se sont métamorphosées au fil des siècles, des années et qui vont toucher des lecteurs différents. Certains lecteurs ne restant que dans une catégorie particulière, un éditeur ou un auteur qui sont pour eux LA référence.

Découvrons ensemble son histoire, sa définition et les traits qui le caractérisent.

Quelle est la définition d’un roman policier ?

« Le roman policier peut être caractérisé par sa focalisation sur un délit grave, juridiquement répréhensible (ou qui devrait l’être). Son enjeu est, selon les cas, de savoir qui a commis ce délit et comment (roman à énigme), d’y mettre fin et/ou triompher de celui qui le commet (roman noir), de l’éviter (roman à suspense). »

« Le roman policier est un récit où le raisonnement créé l’effroi qu’il est chargé d’apaiser » selon Narcejac.

Au XIX siècle, ce type d’histoires se nommait roman judiciaire.

Quelques caractéristique du roman policier

Un crime est commis et un enquêteur (détective, policier, journaliste ou même un particulier) cherche à trouver un coupable et ses motivations (grâce aux indices et aux aveux). Il va pour cela examiner la scène de crime avec des outils qui vont évoluer. L’auteur va soit faire appel à son imagination soit il va s’appuyer sur les recherches qui correspondent son époque (l’identification des individus par Bertillon au XIX° siècle, l’ADN au XXI° siècle) ainsi que la consultation de spécialistes selon ses besoins (gendarmes, psycho-criminologues, médecin légistes…)

La société, son cadre de vie (ville ou campagne), une cassure psychologique dans l’enfance peut impacter le comportement du tueur ou de celui qui commet le méfait.

Selon le langage employé, si le curseur est mis plus sur un axe sociétal, psychologique ou historique…, on va pouvoir classer ces romans dans différents catégories : romans à énigmes (ou Whodunit), polar, romans policiers historiques, suspense, thrillers, romans noirs…

Le but de ces romans peut être de divertir (l’auteur joue à semer des fausses pistes tandis que le lecteur tente de trouver le coupable avant la fin), d’instruire, d’inviter à la découverte d’autres cultures et/ou de faire réfléchir.

LES PIONNIERS

La mort et le crime sont représentés depuis longtemps dans la littérature et dans l’art, il suffit de se plonger dans « Scènes de crime au Louvre » et « Scènes de crime à Orsay » (Editions Le Passage) du criminologue Christos Markogiannakis pour bien s’en rendre compte : Caïn et Abel, Romulus et Remus, Oedipe, le Hamlet de SHAKESPEARE, Charlotte Corday. Fratricide, régicide, meurtres de masse, meurtre politique, suicides… Et en même temps, l’importance de la loi depuis le début de l’antiquité : le code d’Hammurabi, texte juridique babylonien,  gravé sur une stèle en pierre en Mésopotamie (1728-1686 avant JC).

Les transformations de la ville au XIX siècle, le développement de l’industrie et des transports font faire croitre les peurs et l’insécurité : Eugène Sue « Les mystères de Paris ». Le besoin de résoudre ces mystères, de vaincre ses terreurs va certainement être certainement être le terreau du roman policier.

On peut considérer que certains auteurs de littérature  sont les précurseurs du roman policier : Thomas DE QUINCEY « De l’assassinat considéré comme un des Beaux Arts »  (1827) où des érudits devisent d’affaires criminelles comme si il s’agissait de chefs d’oeuvres et élaborent les critiques esthétiques du bon assassinat ; VIDOCQ « Mémoires » (1828) qui fut tour à tour délinquant, soldat, déserteur, bandit, forçat, fondateur de la police judiciaire et de la première agence de détectives privés de France ; Alexandre DUMAS « Le Comte de Monte Cristo » (1844-1846) ; les romans-feuilletons (Les Mystères de Paris de SUE, 1842, Les Habits Noirs de FEVAL, 1863, Les Misérables de HUGO, 1862, Rocambole). On y découvre des policiers, des bagnards et autres criminels.

Tout le monde s’accorde pour dire que le genre roman policier nait avec « Le double assassinat de la rue Morgue – The Murder in the Rue Morgue » d’Edgar Poe publié en 1841 dans « Graham’s Magazine ». (Précision : pour certains c’est la naissance du roman policier, d’autres considèrent que c’est juste une nouvelle est que le premier roman policier est « L’affaire Lerouge » d’Emile Gaboriau.) Suivront les nouvelles « Le Mystère de Marie Roget » (1843) puis La Lettre volée (1845). Dans « Le double assassinat de la rue Morgue », il invente tout à la fois le détective (le chevalier Dupin) ; une méthode d’investigation (la déduction) ; le thème fondateur du futur « roman à énigme » ou « roman-problème » (le meurtre en chambre close) ; et par la dimension du récit : la nouvelle policière.

Il faudra vingt-cinq de plus pour permettre au roman policier (récit longue durée) de se détacher du roman social péripétie criminelle ; genre inauguré par « Les Mystères de Paris ». Le genre proclame son autonomie en 1865 grâce à Emile Gaboriau « L’Affaire Lerouge » et son enquêteur le père Tabaret. Monsieur Lecoq y fait une apparition avant de conquérir la vedette des romans suivants. En 1868, Wilkie Collins signe le premier roman policier anglais « The Moonstone » (« La pierre de lune »).

  • Edgar Allan POE (1809-1849)
  • Wilkie COLLINS (1824-2889)
  • Charles DICKENS (1812-1870)
  • Emile GABORIAU (1832-1873)
  • Arthur Conan DOYLE (1853-1930)
  • Gilbert Keith CHESTERTON (1874-1936)
  • Gaston LEROUX (1868-1927)
  • Maurice LEBLANC (1864-1941)

Emile GABORIAU

Il invente un nouveau Dupin avec le père Tabaret (alias Tireclair) dans L’affaire Lerouge (1866).

Mais c’est L’inspecteur Lecocq qui va par la suite être sur le devant de la scène : Le Crime d’Orcival (1867), Le Dossier 113 (1867), Monsieur Lecoq (1869), La Corde au cou (1873). C’est véritablement la police qui est mise en scène. Brillant dans la déduction, il réintroduit cependant l’action et le roman de moeurs.

A côté de l’examen des indices (empreintes sur la neige, lit défait, serviette ensanglantée), il ajoute l’atmosphère de la ville, la psychologie des personnages. Du roman feuilleton, il hérite de la dichotomie bons/méchants, les longs retours en arrière, la pléthore d’explications finales, le style emphatique.

Par rapport au même roman-feuilleton, il introduit un protagoniste réel et extérieur au drame (et non plus un justicier ou une machine à raisonner), un coupable réel (et non plus l’ange du mal comme dans les romans feuilletons de son époque), et privilégie l’enquête à la description du crime en train de se faire. C’est le début de ce qu’on appelle à l’époque le « roman judiciaire ».

Autres auteurs de romans judiciaires :

Xavier DE MONTEPIN, Fortuné DU BOISGOBEY, AYMARD, Jules LERMINA, Eugène CHAVETTE.

Emile Gaboriau
Émile Gaboriau

Edgar Allan POE

Double assassinat dans la rue Morgue est publié en 1841 dans le Graham’s Magazine . Le héros détective, le chevalier Dupin, est un pur produit du rationalisme positiviste et scientifique, réduit à ses capacités de déduction et de raisonnement : l’enquête n’est qu’un jeu cérébral.

Les éléments de base sont déjà présents : chambre close, motifs apparents et réels (héritage ?), témoins initialement réunis, faux suspects, indices trompeurs, police dépassée, détective dilettante qui aime le raisonnement plus que l’argent, examen minutieux des indices, réunion finale avec péroraison explicative.

Dupin est présent dans 3 autres récits : Le Scarabée d’or, La Lettre volée, Le Mystère de Marie Roget. Avec Poe apparaît une nouvelle méthode d’écriture qui commence par la fin pour rebâtir une intrigue à partir du crime .

Autres écrivains : Wikie COLLINS (La Pierre de lune), Charles Dickens (Barnaby Rudge, Le Mystère d’Edwin Drood).

Edgar Allan Poe
Edgar Allan Poe

Arthur Conan DOYLE

1887 : Une étude en rouge. Publie ses nouvelles dans le Strand Magazine à partir de 1891.

Sherlock HOLMES, « machine à observer et à raisonner la plus parfaite de la planète » (Watson), est cependant un personnage humain par ses défauts et ses qualités (violon, cocaïne). C’est l’épure du roman d’énigme, avec quelques rituels qui sont devenus des icônes du genre : description de l’arrivant au cabinet de Holmes, Holmes à la recherche d’indices, phrases énigmatiques plongeant le lecteur dans la perplexité (« élémentaire mon cher Watson« , phrase apocryphe). On peut souligner la poétique mystérieuse ses titres : La Bande mouchetée, Le Rituel des Musgrave, La Ligue des Rouquins, Les 5 pépins d’orange, Le chien des Baskerville, Les hommes dansants.

Arthur Conan Doyle
Arthur Conan Doyle

Gilbert Keith CHESTERTON

Il cherche à montrer les complexités de l’âme humaines, et les ravages produits par la tentation du mal. Son enquêteur est le Père Brown, apparu pour la première fois en 1910 : apparence insignifiante, mais fin psychologue. Sauf que c’est plus l’instinct lui révélant la présence du Mal que sa déduction qui lui permet de découvrir le coupable. C’est la compassion de Brown qui permet le retour à l’ordre. « Je m’efforce de m’imprégner de la mentalité de l’assassin. Je m’identifie à lui au point de voir le monde à travers ses yeux farouches et injectés de sang, jusqu’à devenir moi-même un criminel ».

Gilbert Keith CHESTERTON
Gilbert Keith CHESTERTON

Gaston LEROUX et Maurice LEBLANC

Au tournant du siècle, en France, deux grands héros :

Gaston LEROUX (1868-1927) : Son journaliste Rouletabille prend « la raison par le bout », est engagé dans l’action et partie prenante des passions, contrairement à Holmes. Leroux invente le meurtre en chambre close et introduit la psychanalyse (Le Parfum de la dame en noir).

Maurice LEBLANC (1864-1941) : Débute son personnage en 1905 : L’arrestation d’Arsène Lupin. Arsène Lupin est un voleur mais ne tue pas, protégeant la veuve et l’orphelin (il n’est pas très éloigné des justiciers). Beaucoup d’actions : voyages, déguisements, identités multiples. C’est un mélange d’aventures (trésors cachés, passages secrets, messages codés) intégrées au récit policier et à l’Histoire.

Autres auteurs de la Belle Epoque :
Avec Leroux et Leblanc, ils parlent des bas-fonds, et introduisent du modernisme technologique : vapeur, électricité, automobile, télégraphe, etc. Ils annoncent également différents genres (Nick Carte, Fantômas), mais surtout le roman d’énigme. (Futrelle)

Gaston LEROUX
Gaston LEROUX

(sources : R. Musnik de la B.n.f, Jean Tulard « Dictionnaire du roman policier » (Fayard), Hélène Amalric « Le guide des 100 polars incontournables » (Librio), Yves Reuter « Le roman policier » (Armand Colin), « Premières enquêtes-Un siècle de romans policiers » préface par Francis Lacassin (Omnibus)

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