Dana STABENOW : Une enquête de Kate Shugak – 20 – Mort en eaux vives

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INFOS ÉDITEUR

Dana STABENOW - Une enquete de Kate Shugak - 03 - Mort en eaux vives
[amazon asin=281121934X&template=image&title=Une enquête de Kate Shugak, Tome 3 : Mort en eaux vives]

Parution aux éditions Delpierre en octobre 2015

Parution aux éditions Milady en mars 2017

Traduit par Jean-Daniel BRÈQUE

Cent ans de querelles entre deux villages d’Alaska basculent dans l’horreur lorsqu’un jeune homme est retrouvé noyé, coincé dans un filet de pêche. On suspecte un villageois qui a bravé les interdits en tombant amoureux d’une fille du camp rival. Peu après, un meurtre aux accents de vengeance survient, et Kate Shugak est appelée sur l’enquête. Mais ses talents et sa force de persuasion ne suffiront peut-être pas à dénouer l’écheveau de tragédies et de revanches…

(Source : Milady – Pages : 384 – ISBN : 9782811219345 – Prix : 7,60 €)

L’AVIS CATHIE L.

Mort en eaux vives, dont la version originale Bad Blood est paru en 2013 aux USA, a été traduit par Jean-Daniel Brèque et publié en 2015 par les éditions Delpierre. Le roman est découpé en 25 chapitres regroupés en cinq actes, dont les deux premiers exposent d’une part la situation pour le moins tendue entre les deux villages de Kushtaka et de Kuskulana, d’autre part présentent le personnage de Kate Shugak.

Mort en eaux vives est bien plus qu’un polar, c’est un roman ethnique qui, à travers l’intrigue policière, propose un aperçu de la société alaskienne telle qu’elle se présente aujourd’hui, avec des personnages hauts en couleurs, bien représentatifs de cette région en pleine mutation, qui hésite entre traditions et modernité, clivage illustré par les deux villages: le moribond Kushtaka accroché à ses valeurs ancestrales opposé au vigoureux Kuskulana qui a tourné le dos à son passé, bien résolu à profiter lui aussi des bienfaits du modernisme et du capitalisme. Au-delà des querelles de clocher, c’est l’antagonisme entre ces deux visions que raconte Mort en eaux vives dans un style simple et et très agréable à lire.

Apparaissent en filigrane l’exploitation irraisonnée des ressources et l’appât du gain, conséquences de la perte progressive des valeurs traditionnelles qui, bien que contraignantes, enseignaient le respect de la terre, de la mer, la vie en harmonie avec l’environnement et tous les êtres qui le peuplent.

« Je veux parler de tous ceux qui se cassent parce qu’ils en ont marre d’attendre(…) Les gens ont toujours gagné le Nord attirés par l’argent. Ils restent le temps de se constituer un pécule, puis ils retournent dans le Sud. » (Page 149)

« Nous exploitons les ressources des eaux et celles de la terre. Si nous trouvions des ressources dans l’air, nous les exploiterions aussi. C’est tout ce que nous savons faire (…)En tout cas, les gros bonnets de Juneau ne savent rien faire d’autre. » (Page 147).

Civilisation : les aléoutes, le peuple dont Kate Shugak et les habitants des deux villages sont issus, appartiennent au groupe inuit. Jusqu’au début du XXè siècle, ils ont conservé un mode de vie traditionnel. Ils sont organisés selon un régime matrilinéaire, ce qui signifie que les chefs sont souvent des femmes et que la transmission des propriétés, titres et noms de famille se fait par le lignage féminin, ce que Dana Stabenow montre bien dans son roman. Bien que les Aléoutes se soient un tant soit peu modernisés, il n’en reste pas moins que le poids des traditions joue encore un rôle dans l’organisation de leurs communautés. C’est la perte progressive de ces repères qui déchire les membres des deux villages.

« Mais les anciens du village l’avaient déjà vertement tancé parce qu’il avait enseigné à Jennifer le fonctionnement de la roue à poissons. A partir de là, les choses avaient progressé à vitesse grand V, jusqu’à ce qu’il l’emmène quand il levait ses pièges(…) Sa mère avait voulu lui apprendre à fumer le saumon, mais, là encore, Jennifer avait harcelé Dale jusqu’à ce qu’il l’emmène en mer et lui enseigne la pêche au filet. Tout le village était au courant de la réaction des anciens. Une fille ne pêche pas. Une fille de Kushtaka, tout du moins. Hérissé par ces critiques, désespéré à l’idée de ne pas avoir de fils, il lui avait acheté un fusil et appris à tirer. Qu’elle soit devenue la championne de tir du village n’avait pas arrangé les choses: l’hiver précédent, elle avait abattu un orignal si imposant qu’il avait fallu deux jours pour le dépecer et le transporter. Cette nouvelle insulte aux traditions avait également suscité des commentaires… » (Page 76).

Une communauté qui vit selon des codes bien précis que nul ne peut, ne doit transgresser :

« Anne, appréciant l’honneur qui lui était fait mais sachant qu’il lui était dû, servit dans une assiette en carton du saumon frit, du riz gluant, des macaroni et du fromage, et la présenta à Pat Mack avec une fourchette en plastique. Il l’accepta avec un léger sourire. En se tournant vers la table, elle vit les autres anciens échanger un regard approbateur et se félicita de n’avoir commis aucune gaffe au cours de son premier service funèbre en tant que pasteur volant. » (Page 174).

L’intrigue

Depuis plus de cent, une sourde rivalité oppose les deux villages voisins de Kushtaka, situé au confluent de deux cours d’eau, la rivière Gruening, côté sud, et la Cataract Creek, côté nord, et de Kuskulana, érigé sur le large plateau rocheux qui s’élevait dans le V séparant la rivière du ruisseau. Grâce à la source pure d’eau très pure qui y jaillissait et à la piste d’atterrissage construite par Walter, son fondateur, le village prospéra au détriment de Kushtaka qui, au fur et à mesure, périclita jusqu’à devenir un village fantôme, l’économie de subsistance faisant fuir les plus jeunes vers des villes capables d’offrir travail et loisirs modernes.

Aussi, quand le vieux Pat Mack, doyen de Kushtaka, parti à la recherche de son bon à rien de petit-neveu, Tyler, découvre son cadavre coincé dans un panier de la roue à poisson sur laquelle il devait travailler, tout porte à croire qu’il s’agit d’un règlement de comptes ou d’une vengeance de la part d’un kuskulanien.

Jim Chopin, sergent de la police d’Alaska, éprouve bien des difficultés à mener son enquête dans un village où tout le monde se serre les coudes, où la loi du silence règne en maîtresse, interdisant de communiquer avec qui que ce soit, encore moins la police. Ici, à Kushtaka, on lave son linge sale en famille et on règle les problèmes soi-même, loin de tout gêneur, n’hésitant pas à s’en prendre au représentant de la loi.

« Jim n’avait aucune chance de découvrir qui avait saboté le skiff, et il se demanda si le coupable avait agi de sa propre initiative ou bien exécuté une décision prise par l’ensemble du village de Kushtaka. » (Page 154).

« Les Kushtakiens serrent les rangs. Ils refusent de me dire quoi que ce soit, dit Jim. » (Page 166).

Pourtant, quand le cadavre de Mitch Halvorsen, un Kuskulanien, est découvert par son frère Kenny, dans le sous-sol de sa maison en construction, la situation devient explosive. La moindre étincelle pourrait déclencher une guerre sanglante, décimant les rangs des deux camps rivaux.

Les personnages

Personnages principaux, acteurs du drame en cinq actes qui va se jouer sous nos yeux; personnages secondaires, indirectement impliqués dans ce drame, petits rôles qui donnent au récit substance et réalisme.

  • Tyler Mack, petit-neveu de Pat Mack : taille moyenne, tout en muscles et en os, d’épais cheveux noirs retombant sur ses yeux marron ; appartient au clan Shugak par sa filiation avec tante Edna. « Tyler Mack (…)était futé de toutes les façons nuisibles et utilisait son intelligence pour conspirer avec Boris Balluta, son meilleur ami et partenaire préféré depuis la petite enfance dans l’art et la manière de cultiver le moindre effort. » (Page 25).
  • Jennifer Mack : fille de Dale Mack, cousine de Tyler. Cheveux noirs et luisants, longues jambes, taille de guêpe et peau olivâtre sans être foncée ; courageuse, déterminée.
  • Pat Mack : âgé de 100 ans, toujours actif.
  • Ryan Christianson : habite Kuskulana, petit ami de Jennifer. Ressemble beaucoup à son père mais en plus grand et plus mince. Cheveux bruns, yeux profondément enfoncés dans leurs orbites, mâchoires fermes. Beau garçon au regard franc et au caractère d’exception.
  • Rick Estes : un de Kushtaka, amoureux de Jennifer.Agé d’une vingtaine d’années, yeux et cheveux noirs ; peau lisse et bronzée, mains puissantes. Parle et sourit peu, mais « un chasseur, un trappeur et un pêcheur dans le droit fil d’une tradition remontant à Tobold Mack.
  • Kate Shugak : caractère bien trempé, courageuse, jalouse de sa liberté, ne craint ni le travail, ni les conditions de vie rudes.
  • Jim Chopin : sergent de police de l’Etat d’Alaska, compagnon de Kate. C’est grâce à lui que Kate est sortie de son isolement. 1m90.
  • Dale Mack : neveu de Pat, père de Jennifer ; cheveux drus, taille moyenne, bâti comme un catcheur sans être exagérément musclé.
  • Mitchell Halvorsen : habitant de Kuskulana, frère de Kenny.
  • Kenny Halvorsen : frère de Mitchell ; petit truand sans envergure.
  • Tante Edna.
  • Boris Balluta : meilleur ami de Tyler.
  • Tante Nan : petite personne boulotte, au visage rond un peu stupide surmonté d’une frange grise ; yeux brillants et curieux.
  • Roger Christianson : père de Ryan; pommettes saillantes typiques de Kuskulana,  cheveux bruns, yeux profondément enfoncés dans leurs orbites, mâchoires fermes.
  • Laurel : propriétaire du Riverside Café : Environ vingt ans, longs cheveux noirs, grands yeux noirs aux longs cils, silhouette de rêve.
  • Anne Flanagan : nouveaux pasteur volant ; taille moyenne, cheveux blonds coupés courts, yeux bleus, souriante ; visage hâlé, apparence saine.
  • Jack : ancien chef et ancien amant de Kate, père de Johnny ; décédé de ses blessures quelques années plus tôt alors qu’il lui sauvait la vie. C’est suite à son décès que Kate s’est installée dans l’ouest de l’Alaska pour cuver sa peine loin des regards.

Les lieux

Le village de Kushtaka :

« La dizaine de cabanes bordant cette piste étaient petites, pour la plupart de guingois et ignorées des peintres en bâtiment depuis une génération. Il n’était pas sûr qu’elles soient toutes occupées. Deux ou trois quads tout aussi décatis étaient parqués dans la rue. Les lignes électriques et téléphoniques brillaient par leur absence. Entre les cabanes poussaient des appentis et des râteliers de séchage d’où pendaient des filets de saumons accrochés par leur queue fendue, dont la chair luisait comme de la cornaline à facettes. C’était ce qu’on trouvait de plus coloré dans ce sinistre trou perdu. Exception faite de la petite école, un bâtiment préfabriqué construit sur pilotis à une extrémité du village, aux portes et aux fenêtres couvertes de contreplaqué, il n’y avait aucun édifice public et aucun magasin non plus. » (Page 113)

=> dans de telles conditions, comment blâmer les jeunes désireux d’aller faire leur vie ailleurs ?

D’autant que « Kuskulana possédait tout ce qui manquait à Kushtaka, avec un aérodrome par-dessus le marché, ce qui permettait d’aller ailleurs quand on en avait besoin. » (Page 33)…et que à Niniltna « les bâtiments allaient de la maison en deux niveaux flambant neuve à la cabane en rondins centenaire, avec quelques cases en toile goudronnée pour conserver le sens de l’humilité. Le gymnase de l’école était le plus grand bâtiment du village… » (Page 79).

A côté de ça, une nature d’une beauté sauvage encercle de sa magnificence un peu inquiétante les constructions humaines comme pour bien rappeler qu’ici c’est son domaine :

« Engendrée par la friction de deux plaques tectoniques qui l’avait propulsée à la surface, nourrie d’intermittentes éruptions volcaniques et d’érosion glaciaire, la chaîne de montagnes qui formait la frontière est du Parc et celle séparant l’Alaska du Canada semblait tout à la fois d’une beauté à couper le souffle et d’une majesté terrifiante. » (Page 51).

Le Parc, décor naturel de ce drame en cinq actes, « parc national de huit millions d’hectares(…), d’une superficie équivalente à celle de l’Etat de l’Orégon, le Parc était délimité à l’est par les monts Quilaks, au nord par la Glenn Highway, à l’ouest en partie par l’Alaska Railroad et au sud par la baie du Prince-William. » (Page 57).

Mon avis

Loin de se résumer à une simple intrigue policière, Mort en eaux vives propose une approche originale de l’Alaska, du quotidien de ses diverses communautés, de la beauté époustouflante de ses paysages, de l’âpreté de son climat, mais surtout des soubresauts qui divisent les adeptes de la tradition, ceux qui veulent protéger à tout prix l’environnement et privilégient l’économie de subsistance, des adeptes de la modernité, de ceux qui veulent entrer définitivement dans le XXIe siècle et oublier la vie dure et sans concession qu’ont menée leurs ancêtres trappeurs ou mineurs. Dana Stabenow excelle à montrer les failles de cette société en pleine mutation sans jamais juger ni médire de ses contemporains, reconnaissant à chacun le droit de chercher son bonheur là où il le peut.

Un roman fort, à l’égal de la puissance de cet Alaska inconnu de nous Occidentaux, une terre de contrastes, belle de ses richesses naturelles, belle de ses contradictions, mais belle aussi de ses peuples que, grâce à la plume savamment aiguisée de Dana Stabenow, nous découvrons et apprenons à connaître à travers les aventures de Kate Shugak, femme aléoute aussi âpre et attachante que sa terre natale. Mon seul regret: seuls quatre des 25 romans de la série ont été traduits en français…

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Ecrivain de romans historiques, chroniqueuse et blogueuse, passionnée de culture nordique et de littérature policière, thrillers, horreur, etc...

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