Auteurs Latino-Américains de romans policiers

PRÉFACE DE BERNARD MINIER

Vue d’ici, quand on pense à la littérature latino-américaine, on pense immédiatement à Garcia Marquez, à Vargas LLosa, à Cortazar, à Borges – à ces monuments baroques, foisonnants, luxuriants, où la fable, le fantastique, la mythologie et le merveilleux ne sont jamais loin : on pense « réalisme magique »… Et certainement pas polar.

C’est oublier que Jorge Luis Borges, déjà, tenait le roman policier en haute estime ; il lui consacra même une de ses célèbres conférences (où le Sphinx de Buenos Aires prononça cette phrase fort peu prophétique : « cette littérature est arrivée à son déclin, elle a été dépassée et remplacée par la fiction scientifique »).

Borges, encore lui, qui pose une question intéressante : oui ou non, les genres littéraires existent-ils ? Sa réponse, comme souvent, est astucieuse : « les genres littéraires dépendent peut-être moins des textes eux-mêmes que de la façon dont ces textes sont lus ». Et, à lire les auteurs de polar latino-américains, on pourrait douter, en effet, que les genres existent – tant leurs ambitions dépassent la notion de genre.

J’ai eu la chance de croiser certains de ceux évoqués dans ce dossier : Carlos Salem, bien connu des lecteurs français, à trois reprises ; Leonardo Ayala, jeune auteur qui a le physique d’un tueur tarantinesque et qui écrit des fictions brutales, au Festival Azabache de Mar del Plata en 2012 ; l’immense Paco Ignacio Taibo II (qui a inventé l’un des personnages les plus inoubliables du polar de langue hispanique : le détective Héctor Belascoarán Shayne) à la Semana Negra aux destinées de laquelle il préside – et d’entendre évoquer avec émotion par ses confrères Raúl Argemi, en mai dernier, à la Féria du Livre de Bilbao. La chance aussi de pouvoir les lire en langue originale, cette prodigieuse, cette inépuisable langue (mais il existe, en France, d’excellentes traductions).

Ce qui les caractérise ? Sans l’ombre d’un doute, je l’ai dit, leur ambition. Tu ne trouveras ici, lecteur, nul auteur qui se vante de vouloir seulement te distraire. Bien sûr, ces auteurs t’emporteront, te feront rêver, t’évader ou sourire, t’émouvront… mais ils ont aussi la prétention d’alerter, de questionner, de rendre compte… Leurs écrits parlent de misère, de corruption, de violence, de libertés bafouées, de folie, d’espoirs aussi – et d’humour. Souvent l’humour. Ils se collettent avec la réalité d’un continent qui a connu plus souvent qu’à son tour soubresauts, révolutions, dictatures et de multiples formes de prévarication et d’injustice. Ils oublient pourtant rarement d’être poétiques.

Entre donc ici, lecteur, et découvre – si tu ne la connais déjà – cette littérature moins visible sous ces latitudes que la scandinave et qui, pourtant, n’en mérite pas moins ton intérêt.

© Bernard Minier 2014